Vanilla Fudge, introduction en règle

par Adehoum Arbane  le 23.05.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Une règle de la pop – la bonne – prétend qu’il ne faut pas plus de quelques secondes pour jauger un hit single.  Quelques petites secondes pour se faire embarquer, et ne plus jamais lâcher l’affaire. Roulement de caisse-claire, riff de guitare, ou le bon vieux « one, two, three, for », c’est dans ce laps de temps de l’introduction que la bataille se joue. La survie aussi. Vanilla Fudge est passé maître dans l’art de l’introduction, pas dans sa jubilatoire brièveté, plutôt dans sa capacité à instaurer une ambiance. Poser les bases de sa dramaturgie. Plus largement, cette formation de New York – précisément de Long Island –, ultra populaire aux États-Unis, s’est faite connaître pour ses relectures étendues, réarrangées, repensées des classiques des débuts des sixties. Supremes, Zombies, Beatles, Sonny & Cher, tous y sont passés ou presque. À la moulinette de l’orgue de Mark Stein, de la guitare de Vince Martell, de la basse de Tim Bogert et de la batterie de Carmine Appice. Au point de faire de leur version de You Keep Me Hangin’ On la matrice pour tous les groupes psyché en gestation. À chaque fois les premières minutes, mêmes dilatées, s’avèrent fondamentales. Mais un peu d’Histoire ! Signé par Ahmet Ertegun sur Atlantic Records et produit par Shadow Morton, l’homme derrière tous les girls bands, Vanilla Fudge se lance dans l’enregistrement de son premier album. Celui-ci ne propose que des reprises mais aucune ne fait vaciller le groupe dans son travail de rénovation. De l’introduction de Ticket To Ride piquée à 2001, l’odyssée de l’espace jusqu’à Eleanor Rigby aux premières minutes préfigurant les bandes sons des Giallos, les quatre musiciens déploient tous les efforts du diable pour produire une musique profondément originale. Le sommet de l’album surgit au beau milieu du disque, entre deux faces, avec She's Not There, Bang Bang et bien évidemment le monstrueux You Keep Me Hanging On. Si l’orgue et la voix de Mark Stein apparaissent clairement au centre du dispositif sonore, les entrelacs acides et ondoyants de Vinny Martell ne dépareillent en rien la beauté sépulcrale des chansons. Même constat pour la section rythmique. Car il faut le dire, les musiciens de Vanilla Fudge sont tous, TOUS, des techniciens accomplis. Mieux, on peut affirmer à l’écoute de Bang Bang notamment qu’ils possèdent une vision de ce que doit être la musique, la leur en l’occurrence. Ainsi il faut attendre deux minutes et quarante six secondes pour que le thème principal de Bang Bang fasse son entrée. Plus de deux minutes de prologue sur un morceau en faisant à peine cinq. On mesure l’étendue du propos. 1968. Après un deuxième album, The Beat Goes On, beaucoup moins réussi, le groupe signe son grand retour avec un troisième opus, le bien nommé Renaissance, constitué essentiellement de compositions personnelles ; seules The Spell That Comes After de Essra Mohawk et Season Of The Witch de Donovan dérogent à la règle. Mais quelles reprises ! Là encore l’entame déconstruite de la saison des sorcières sidère de maîtrise et d’intelligence. Il ne s’agit pas seulement de virtuosité mais bien d’une réflexion profonde de là où les musiciens veulent aller, leur public avec. Pour le reste, l’auditeur d’aujourd’hui tombera en pamoison devant la qualité d’écriture des chansons, rivalisant avec leurs glorieux modèles. The Sky Cried - When I Was A Boy, par exemple. Début infernal, violent, climatique ouvrant la voie à une chanson mémorable, qui telle une poupée gigogne se paye le luxe d’offrir un second thème, lui aussi introduit tout en majesté ! Thoughts, Paradise, That's What Makes A Man, The Spell That Comes After, Faceless People s’enchaînent dans un rythme infernal, jamais la pression ne retombe. À chaque fois, Vanilla Fudge prend son temps, appose pas à pas les tessitures harmoniques qui signent sa musique, fondamentalement singulière. Avec eux, un sentiment en cache toujours un autre et derrière des prémices calmes, la musique tempête toujours comme sur le magnifique The Spell That Comes After où les voix dans une marche funèbre préparent le terrain à l’orgue dont le roulement ouvre littéralement le morceau. Ajoutons au passage qu’en plus de connaître leurs instruments sur le bout des doigts nos quatre musiciens savent parfaitement combiner leurs voix, jouant sur les timbres, les variations, ralentissant le mouvement quand ils le jugent nécessaire. On perçoit d’ailleurs dans cet appareillage vocal des plus savants une coloration presque soul. En 1970 sort Near The Beginning qui les montre au sommet de leur forme. Bien que plus rock – Iron Butterfly et Steppenwolf sont passés par là – cette nouvelle livraison abrite un classique de plus, Some Velvet Morning. Déjà l’original de Lee Hazlewood et chanté et duo avec Nancy Sinatra tranchait par sa beauté orchestrale, celle de Vanilla Fudge rallongée, ralentie, propulse cette délicate mélodie dans les abymes spatiaux. À en juger par sa discographie il demeure impossible de classer Vanilla Fudge dans le seul courant psychédélique. Au confluent du hard rock – le quatuor aura sans aucun doute influencé Deep Purple –, de la soul, de la pop vocale et du psychédélisme baroque, Vanilla Fudge s’impose comme LE groupe des préludes en forme de grand final. Et sur le plan artistique comme une formation totale.

Vanilla Fudge, Renaissance (Atlantic Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=0-rXat_YwHc

 

 

 

 

 


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