Jim Buckley, au bon souvenir de Morrison

par Adehoum Arbane  le 16.05.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Théorie du complot. 1971, les Doors livrent sans le savoir leur chant du cygne. Après s’y être époumoné avec grâce et volupté, Morrison part pour la France, terminus Paris au sens le plus littéral puisqu’il y trouvera la mort. La voie est libre, si l’on ose dire. La voix du moins. Tim Buckley y voit un signe qui le conduit à écrire, enregistrer puis sortir Greetings from L.A. l’année suivante. Théorie certes, mais conjecture assez évidente à l’écoute de l’album. Nous n’irons pas plus loin dans le complotisme bêlant qui défigure trop souvent les rayonnages de l’actualité. Mais quelques indices permettent d’accréditer – en partie – la dite thèse. Bien que Greetings from L.A. fut publié sur Warner Bros –enfin distribué par la major, car Buckley appartenait en fait aux écuries Straight de Frank Zappa –, il n’en demeure pas moins que Tim Buckley comme Jim Morrison partagèrent un temps le même label, Elektra. Le troubadour Angelin sortit chez Jac Holzman ses trois premiers albums suivis du cinquième, Lorca. Une signature suffisamment longue pour croiser le frontman des Doors, échanger moult considérations sur la musique et l’art oratoire chanté, leur spécialité. Autre point commun entre ces deux-là, mais celui-ci concerne leur album du moment. Tout comme L.A. Woman, les Souvenirs de Buckley – même obsession pour la ville – renouent avec  une veine plus rock, plus directe, nerveuse même comme le prouve Move With Me, le titre qui ouvre l’opus de Buckley senior. Seuls les cuivres déplacent le curseur de la comparaison. Si la tracklist s’avère moins généreuse que sur L.A. Woman, Tim Buckley en profite pour pousser un peu plus loin que les Portes la durée de ses morceaux, comme il avait coutume de le faire sur ses précédentes contributions. Plus longs donc tout en restant immédiats, flatteurs, séducteurs, usant habillement des gimmicks qu’offre le rock tel le petit riff vicieux qui démarre Get On Top. Mais c’est bien sûr dans le registre de l’expression vocale que les deux hommes se rejoignent par-delà les rivages figés de la mort. Sur les sept titres que compte Greetings from L.A., quatre explorent le groove du rock le plus pur. Ils le font avec une grâce aérienne qui n’appartient qu’à Tim Buckley, Devil Eyes en est la superbe preuve. Guitare, orgue baveux et congas devenant les compagnons idéals de Buckley le chanteur, le conteur ! Night Hawkin' apparaît sans doute comme le titre le plus faible, du moins le plus mainstream au regard des autres morceaux, littéralement hantés par leur géniteur. Les coups de reins du maître ont ainsi accouché de chefs-d’œuvre, dont les trois meilleurs morceaux, les plus lents, les plus fascinants. Sweet Surrender. Rien que le titre résume à lui seul l’esprit – le mot est si juste ! – de la chanson. Le son aqueux de la guitare, les frissons de cordes striant le couplet jusqu’au refrain où la voix plaintive, meurtrie de Tim, tirant dans les aigues, fait ici  des merveilles. À l’instar de Morrison, le registre de Buckley semble infini, rien ne peut l’arrêter dans la palette émotionnelle. Et dire qu’il chante ses propres compositions ! Petit détail montrant au passage la grandeur du musicien, son importance dans l’histoire du rock US. Hong Kong Bar se révèle le morceau le plus aride, brut, simplement joué à la guitare sèche – le mot est encore très juste ! – accompagné des claquements de main qui le transforme en harangue aux fantômes du bayou. En prière du sud. Et on parle d’un rade à Hong Kong. Six minutes et plus, treize vers, une seule incantation nichée dans la gorge nouée de Tim où les mots roulent mille fois. Make It Right, enfin. Avec sa fausse introduction décontractée comme pour nous surprendre, tant les premières minutes impressionnent, bouleversent. Dramaturgie faite musique ! Élégant et sensuel, cet ultime titre achève le disque et l’auditeur avec. C’est une démonstration de force, autant que d’onctuosité. Tim Buckley, tout comme James Douglas Morrison, est un shaman, un sorcier du sentiment. On ne trouve nulle part dans le grand livre de la pop culture pareil génie, aussi tourmenté, féminin et viril en même temps, capable d’être rude et voluptueux au sein d’une seule et même chanson. On songe à Nick Drake pour l’extrême raffinement, à Burton Cummings pour la masculinité. La folie de Buckley est d’instiller cette dernière partout, dans son chant, dans ses mélodies, dans sa production, dans ses moindres choix esthétiques même quand ceux-ci vont trop loin. On ne va jamais assez loin dans l’acte sacrificiel rock. Tout comme Jimbo. Bingo ! De là à songer à un complot…

Tim Buckley, Greetings from L.A. (Warner Bros)

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https://www.youtube.com/watch?v=qEPCgZSSAi0

 

 

 

 

 

 

 


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