Led Zeppelin, Holy shit ?

par Adehoum Arbane  le 11.04.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Révélation. Acte par lequel une force supérieure fait connaître son dessein. Autre stade, supérieur encore, celui de l’illumination : la manifestation d’une vérité qui vous dépasse. On parle également d’éveil spirituel et là, on pense évidemment aux saintes à l’image d’Ermine de Reims. C’est encore la transfiguration qui voit l’homme messianique se couler dans les vêtements probes et étincelants du dieu vivant. Au fond, quel que soit le terme, sa définition ou sa valeur, il existe communément un état de transcendance par lequel on se révèle à soi-même, on se réalise ! L’artiste bien sûr n’est pas étranger à ce chamboulement intérieur, porteur de vision et d’inspiration. Sans doute est-il autorisé de penser que Led Zeppelin, mastodonte du hard rock anglais, vécut un tel phénomène au cours de sa carrière qui avait pourtant débuté sous des augures plutôt électriques. La suite s’avèrera plus éclectique qu’il n’y paraît. À l’aube du troisième album, Le duo Page-Plant décide d’infléchir sa ligne inspirationnelle, non pas d’oublier le bon vieux crédo du rock viril forgé à grands coups de riffs, mais de le compléter en conviant les fantômes d’un folk anglais, niché entre tradition et féérie. Un folk tantôt victorien, tout en dentelle – à la Emilie Brontë –, tantôt tourné vers le Nouveau Monde.  Ce seront Gallows Pole et Stairway To Heaven, The Battle Of Evermore pour la première option, Tangerine, That's The Way et Going To California pour la deuxième. Étrangement, l’apogée d’un tel tournant s’accomplira sur le fort bien nommé Houses of the Holy, enregistré entre janvier et août 1972 et sorti le 28 mars 1973. Oh Led Zep n’y abandonne pas tout à fait ce qui avait fait son succès. Ainsi on prend un réel plaisir à retrouver le jumeau de Immigrant Song, The Song Remains the Same. Plus tournoyant, il emporte l’auditeur dans une valse électrique, toute en tension qui cependant migre très vite vers des contrées moins identifiées, la voix aigüe de Plant rappelant l’adjuration plaintive du même organe sur Four Sticks. Mais attention, disons-le tout net : il ne s’agit pas de faire du faux numéro cinq de Led Zeppelin son magnum opus. S’il dénote d’une grande variété d’inspirations et de styles, il surprend aussi – jusqu’aux fans – avec cette gageure qu’est D’yer Mak’er, sorte de hard reggae improbable dans la discographie du dirigeable. On y trouve également le quasi funk The Crunge pour le même effet de trouble. Pourtant, le disque se révèle extrêmement audacieux qui balance tout de go deux longues mélopées, le floydien The Rain Song avec son mellotron et le languide No Quarter, à la lisière de la science-fiction. Il convient de s’arrêter un moment sur ces deux compositions. The Rain Song par son académisme acoustique fait un évident clin d’œil à l’album III. Zébré de slide discrète, il avance en terrain connu. L’emprunt aux Moody Blues et aux formations progressives le place cependant dans un chemin différent du Classic Hard Rock, habituellement pratiqué par le quintet. De l’autre côté, sur la face deux, No Quarter cuit patiemment. La lente ébullition des claviers parfaitement superposés par John Paul Jones tisse la trame, l’ossature de la chanson. Page se chargera de créer les modulations au moyen du vari-speed, conférant à cette saisissante et molle admonestation son charme et sa magie. Ce patient travail de studio transforme profondément le son et, par là-même, l’identité du groupe. Toute précision utile, c’est Eddie Kramer – le gardien du temple hendrixien – qui officie comme ingénieur du son. D’où le tapis électrique et ondoyant qui nimbe No Quarter et qui, sans jamais s’estomper, prépare l’arrivée au piano acoustique s’épanchant pendant de très longues secondes. Même Page troque ses riffs – certes présents – contre des arpèges presque jazzy et une fuzz discrète couchée dessus comme par miracle. Quant à la voix de Plant, trafiquée à l’extrême, elle transforme Led Zeppelin en chantre d’une musique futuriste, presque robotique. C’est bien le diable si la batterie inébranlable de Bonham, tout en restant puissante, violente même, demeure l’axe central, l’élément de réassurance de cette mue stylistique. Pour le reste, si Dancing Days apparaît comme le morceau miroir de The Song Remains The Same, trouvant parfois des accents stoniens malgré son riff bizarre, The Ocean revient aux fondamentaux martiaux de Out On The Tiles, Rock And Roll ou When The Levee Breaks, la fascination en moins. Rien d’alarmant, le rêve oriental des anglais est en marche, la révolution électronique a été lancée même si No Quarter dans sa radicalité ne fera pas écho dans les disques suivants, à l’exception du crossover orientalo-symphonique de Kashmir. Au milieu d’une discographie allant du brown bomber à l’immeuble entre East et West Village, en passant par l’album au paysan, Houses of the Holy semble un peu coincé et fut naturellement – et non légitimement – oublié. Passé sous silence. Délaissé bien qu’il couve en son sein quelques chefs-d’œuvre qui nourriront les setlists à venir. Il s’impose surtout comme le dernier représentant discographique et une tentative, celle de jeter des ponts tous azimuts vers le passé et la tradition, vers l’anticipation… D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’artwork fut confié au studio Hipgnosis, responsable des plus fameuses pochettes de Pink Floyd. Inspirée de la nouvelle d’Arthur C. Clark – à nouveau un hasard ? – Les enfants d’Icare (Childhood’s End), l’image ornant la pochette est une succession de photos prises en Irlande du Nord, sur la chaussée des géants et au château de Dunluce pour l’intérieur. Avec ses enfants nus rampant, l’homme au loin, portant une dépouille en offrande et ses couleurs – orange, bleu et vert – saturées, la création est un modèle du genre, prise dans un étau d’étrangeté, irréelle et paganique, antique et fantastique. Merveilleuse définition des splendeurs musicales qu’elle renferme, symbolisant parfaitement la révélation qui traversa ses géniteurs et l’illumination qui frappa ses onze millions d’auditeurs. Des adorateurs ?

Led Zeppelin, Houses of the Holy (Atlantic)

0075678263927_1_75.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=Pu94mWlgzMY

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top