Father John Misty, batteur en brèche

par Adehoum Arbane  le 04.04.2017  dans la catégorie A new disque in town

Dans l’imaginaire rock, et plus précisément celui du groupe, chaque musicien occupe une place symbolique. Si le chanteur s’impose comme le leader naturel, le guitariste incarne lui le héros. Le claviériste, quand il est présent, apporte souvent la caution technique et musicale. Quant à la section rythmique, on retombe d’un cran : le bassiste par sa physionomie patibulaire est souvent le grand oublié de l’histoire, et le batteur, s’il n’est pas John Bonham ou Keith Moon, passe directement à la trappe. Dommage car il existe quelques cas historiques de batteurs ayant quitté leurs habits de frappeurs pour briller. On se souvient trop peu de Dennis Wilson, auteur d’un unique album de son vivant – il meurt en 83 –, le cultissime et sublime Pacific Ocean Blue sorti à l’été 1977. Quelques décennies ont passé comme les vagues. Joshua Tillman qui a déjà à son actif une discrète mais généreuse discographie solo, rejoint en 2012 Fleet Foxes dont il sera le batteur le temps de deux albums dont le premier avait fait grand et beau bruit. C’est alors qu’il décide de se réinventer en songwriter habité, adoptant le patronyme un brin christique de Father John Misty. Deux albums s’en suivent chez Sub Pop, l’homme y prouvant des aptitudes réelles en termes d’écriture et d’interprétation. 2017 sonne l’heure du grand retour et du troisième album dans lequel il s’abandonne totalement, embrassant l’iconique statut de singer-songwriter. À l’image de Dennis Wilson. Avec le même sens de la mélancolie. Mais en empruntant çà et là (avec un talent certain) à Elton John ou à Randy Newman. Elton pour la musique, cet art du pont jeté entre folk sédimentaire et pop, toute de piano vêtue. Randy Newman pour son humour de showman. S’il fallait tempérer ce Pure Comedy, resserré dans le nom, mais riche par sa musicalité, nous dirions que l’album tire quelque peu sur la longueur – treize titres pour une heure quinze c’est beaucoup. Surtout quand deux chansons dépassent allégrement la barre des dix minutes. Malgré tout, il s’échappe de ce grand disque triste une beauté quasi irrationnelle. Et c’est là le tour de magie et de force de Joshua Tillman. Non content d’avoir tout lâché, d’avoir osé la mutation – batteur/chanteur –, l’élégant barbu a su dépasser la folk quelque peu austère – même si celle-ci se paraît d’accent à la Beach Boys – et traditionnelle des Fleet pour se jeter corps et âme perdus dans la pop symphonique de chefs-d’œuvre comme Goodbye Yellow Brick Road ou Captain Fantastic And The Brown Dirt Cowboy. La première partie d’album, de l’entame à Leaving LA relève du sans faute. Sans faute de goût bien sûr, sans fuite, sans que notre musicien ne s’égare bien que certaines de ses chansons évoluent déjà hors des standards de la pop radiodiffusée. Le morceau titre, par exemple, bien qu’immédiatement mémorisable se pique de durer avec majesté. Constat identique pour Birdie qui ose cependant des arrangements plus « contemporains ». Quant à Total Entertainment Forever et Ballad Of The Dying Man, ils apparaissent déjà comme des classiques en puissance. C’est peu dire que Tillman possède ce don de mélodiste pour lequel beaucoup tueraient père et mère. Il se révèle aussi en conteur acerbe d’une Amérique contrariée, il en parle cependant avec une poésie réelle : « A few things the songwriter needs/Arrows of Love, a mask of Tragedy » avoue-t-il sur Leaving LA. Une fois de plus, à l’image de Birdie, A Bigger Paper Bag se pare d’arrangements et d’effets originaux. Loin des guitares Appalaches. Ce que révèle aussi la magie du studio, c’est la voix de Tillman qui s’impose comme un instrument à part entière. Certes dans ses intonations se dessine une autre qui fait immédiatement penser à Reginald Dwight, mais sans trop forcer le trait. La chose est rare s’agissant d’un batteur. C’est la magie du studio que de graver ces petits miracles ! Prodige réitéré sur When The God Of Love Returns There'll Be Hell To Pay, puis sur Smoochie – presque spectorien – jusqu’au final très touchant de In Twenty Years Or So. Joshua Tillman n’est jamais tant à l’aise que dans ce symphonisme paisible où il répand ses mots chantés avec une très grande honnêteté. Tout juste ajoute-t-il des petites touches d’électroniques (Two Wildly Different Perspectives) pour signifier qu’il a compris le message de l’incarnation des temps nouveaux, ce besoin d’être de son époque. Mais toujours remonte le désir de sonner différemment, presque jazz en définitive. Il nous dévoile sa conception de la musique, comme un crooner magnifique se mettant au premier plan, loin devant l’orchestre, acceptant de prendre tous les risques, y compris celui de se sacrifier. Geste d’une rare noblesse. Sur So I'm Growing Old On Magic Mountain, il est une figure de proue fière et droite, frôlant l’ineffable. Enfin, cet ouvrage aussi fragile que du cristal doit beaucoup à Jonathan Wilson, son producteur, et qui n’est pas le fils de Dennis. Tout juste un fils de la Californie des meilleurs auteurs. Ce qui est beaucoup. Avec lui, la Montagne Magique bascule mais ne s’effondre pas. À mi-chemin elle explore un versant quasi spatial avec son vrombissement synthétique donnant à la composition des allures de vaisseau des étoiles. Pour s’estomper dans le silence. C’est à ce moment que l’on se rend compte que la deuxième partie est tout aussi parfaite, moins évidente, plus cosmique aussi. Ce sont les deux faces, parfois antagonistes, d’une même inspiration. Celle de Father John Misty qui est passé de batteur à songwriter, puis de singer à performer. L’image du type idiot, tapant sur sa caisse-claire est déjà loin. Nous aussi.

Father John Misty, Pure Comedy (Bella Union-Sub Pop)

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https://www.youtube.com/watch?v=vl7V9HM8HDo

 

 

 

 

 

 


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