Grand Funk, America thirst

par Adehoum Arbane  le 28.02.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Make America great again. Après l’aventure hippie qui a vu l’Amérique se complaire dans les affres de l’hédonisme naïf dont l’acide fut le vecteur sournois, il était temps de se ressaisir. Grand Funk Railroad, ce groupe moqué, dédaigné, méprisé, tient enfin sa revanche. Il l’affichera ostensiblement l’espace d’un album où le patronyme se montre une fois de plus dans sa version réduite, plus franche, presque braillarde. Grand Funk plane dans un océan d’or, son slogan lui scintille de façon tapageuse : We're An American Band crane alors le trio, devenu au passage quatuor. Fier de ce premier remaniement, la formation la plus populaire d’Amérique ne s’arrête pas en si bon chemin et convie au poste clé de producteur le plus talentueux qui soit, Todd Rundgren en personne. Sa capacité à sculpter le son donne au groupe un relief et une puissance, plus grande encore. Grand Funk Railroad c’était déjà Steppenwolf en plus funky, Sly and The Family Stone sans les cuivres mais en plus vindicatif. Ce crédo se résume à merveille dans les huit chansons que compte ce septième opus. Sans doute le meilleur, du moins le plus homogène. Comble du culot, Grand Funk entonne sa promesse au fort relent de patriotisme musical en entame de son album. Mieux, il fait de la chanson titre son étendard dans les charts US. We're An American Band – et son refrain énergique – se la jouera donc single, le temps de séduire la jeunesse du pays en pleine sortie de guerre. Plus globalement, il y a dans le rock américain une tradition qui perdure, de Creedence à Springsteen, celle de la fierté assumée de se sentir profondément relié aux idéaux états-uniens, dont le désir d’appartenir à une nation demeure la vigie. Cette musique pour sommaire – ou efficace – qu’elle soit, bombe le torse tout en exposant ses attributs : profusion, abondance, luxuriance du son qui doit bien évidemment beaucoup à son producteur. Au fil des titres, entre les assauts de guitares et la rythmique martiale, quoique tout en souplesse, on entend très distinctivement la galaxie de claviers, Hammond, Fender, Wurlitzer et Moog. Ces derniers se trouvent parfois, souvent doublés, voire triplés, se superposant en spirales habiles et qui extraient la musique de Grand Funk du bourbier du classic rock. Son hard aux accents félins a ceci de démoniaque qu’il poursuit l’œuvre de John Kay, mais en poussant tous les curseurs bien au-delà de ce que ce dernier avait espéré. Transformant Grand Funk en formation noire, chauffée à blanc. Stop Lookin' Back en est le meilleur exemple. Son riff tourbillonne dès l’introduction et son refrain ne se prive pas d’explorer une veine dramatique que n’aurait pas renié Vanilla Fudge, voire Blue Öyster Cult. Creepin', c’est la ballade très Riders On The Storm du groupe mais qui n’invente rien moins que le style Eagles/Hotel California avec trois ans d’avance. On ne peut s’empêcher de percevoir dans son écriture et son interprétation une orfèvrerie dont l’époque n’était pas forcément coutumière, du moins chez les héros du rock à décibels. Pour sentir ces touches de sophistication il fallait alors se tourner vers Todd bien évidemment, vers les Temptations naturellement ou chez Steely Dan. Sans jamais relâcher sa garde, le quatuor se finit, du moins en première face, par Black Licorice, sorte d’épilepsie orgiaque et jouissive où le chanteur Don Brewer pousse le bouchon de l’orgasme vocal jusqu’au bout alors que l’organiste Craig Frost, fraîchement embauché, s’abandonne bien vite à la débauche. Ici le mauvais goût fait vite place à un savoir-faire réel. Un tour de force ! Chose étonnante la face b débute par une ballade, la deuxième de l’album. Ce sacrilège est vite pardonné à l’écoute de cet hymne qu’est The Railroad au narcisisme ici transfiguré par la magie des musiciens et du mix cathédralien, à la limite de la musique sacrée et que le groupe ne manque pas de phagocyter avec un talent insolent. Si jusque-là, la musique de Grand Funk brillait de mille feux, se paraît de dorures princières, les quatre morceaux suivants renouent avec une forme de virilité qui est l’apanage d’un certain académisme rock. Ain't Got Nobody, adrénaline pure sous des habits presque FM. Walk Like A Man retrouve l’évidence de We’re An American Band. Logique, il fut lui aussi édité en maxi single. Loneliest Rider porte si bien son nom qu’on le voit – en plus de l’écouter – caracoler dans je ne quelle constellation. Impression renforcée par le moog et la batterie de claviers qui ne sont pas sans rappeler ce que Rundgren enregistre la même année, en magicien du studio qu’il est et restera. Si Hooray sonne comme une pause, The End au nom prophétique, vient clore violemment l’édition augmentée de ce classique du mauvais genre. Écoutez l’attaque sonique dès les premières secondes dont on ne sait si elle est le fait d’une basse fuzz ou d’un orgue insidieusement trafiqué. Toujours est-il que le morceau débute telle une furie, un rouleau grondant, vague sonore qui emportant, tout sur son passage. « It’s the end », chante Brewer. On le croit sur parole. Là aussi, l’apparition d’un synthé sans crier gare annonce la couleur, faisant aussitôt passer les soli de Keith Emerson pour de gentils menuets entre musiciens emperruqués. Les quatre hommes de Grand Funk ont-ils pactisé avec le diable, et avec quel diable ? Celui d’un rock inflammable ou d’une soul luciférienne ? Difficile de dire, et c’est là précisément le génie de ce disque qui commence dans l’or pour finir dans le rouge. Un album pour dire la grandeur de l’Amérique, affirmer sa suprématie, une ode pour se frapper la poitrine en disant « Make America great again ». Et devant le Capitol (Records) pour parfaire la démonstration.

Grand Funk, We’re An American Band (Capitol Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=rwsgznR_T-g

 

 

 

 

 

 


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