Julien Gasc, soft power

par Adehoum Arbane  le 27.12.2016  dans la catégorie A new disque in town

La surprise du deuxième album de Julien Gasc ne vient pas de sa position sur la constellation de la nouvelle chanson pop française, car à y bien réfléchir, la comparaison ne tient pas. Même seul aux commandes, le jeune singer-songwriter traînera toujours derrière lui l’ombre de son propre groupe, Aquaserge. Mais dans une version synthétisée. Difficile à l’écoute de Kiss Me You Fool de ressentir une idée d’incarnation qui est le propre de la pop et de son corollaire, le chanteur. Ainsi la musique de se couler en glacis imperturbables. Assez prenante au niveau du son, très psyché prog comme seule l’Europe pouvait le proposer, mais un peu trop distante, snob, à l’image du Soft Machine des années 72-73. Les paroles en plus. Sans qu’elles ne parviennent à dire, à raconter, à donner chair aux chansons. Cet hermétisme semble cependant convenir à merveille à ces chansons étrangement séduisantes, quoique vides. Si l’on fait abstraction du morceau titre, chanté en anglais, sorte d’hymne à Syd Barrett qui aurait pu figurer à la suite de Jugband Blues, la slide en plus, le reste de l’album se place dans un continuum ratledgien. La voix figée, les orgues distendus en gigantesques nappes irisées, mais également les accords mineurs, tout cela poursuit Julien Gasc d’une chanson à l’autre. L’ensemble sidère par sa proximité philosophique avec le sphinx de la Machine Molle, sans doute aussi parce qu’ici, dans ce deuxième essai, les claviers dominent. Ils survolent l’ensemble, surclassent tout, y compris le chanteur qui paraît disparaître, se dissoudre littéralement entre les lignes des orgues, du piano, parfois de la guitare fuzz qui, bizarrement, semble parfois dans un mimétisme hautement fascinant remplacer la pédale fuzz de Mike Ratledge comme sur Fait divers qui ouvre l’album – pour le fermer aussitôt. À peine le disque a commencé, l’impression est là, le mal est fait. Rien ne changera cette inversion, ce remplacement implacable. D’autant que le musicien ajoute à cette belle confusion en dilatant ses morceaux, en témoignent La cure et Les pages anonymes. Comme à l’époque de Hibou, Anemone And Bear. De même, comment ne pas songer à As Long As He Lies Perfectly Still à l’écoute de L’été anglais. Troublante similitude avec Le débussé qui assume le registre vocal extrêmement limité de l’artiste, jusqu’à le faire passer au second plan. À cet instant précis, il est impossible de comprendre ce que le songwriter chante, sa voix fluette, nimbée, erre en ces landes musicales, paradoxalement vivantes, habitées. Une forme de monotonie sur Luke Howard s’empare de l’auditeur, mais qui jamais ne se confond avec l’ennui. « Une abstraction » nous susurre Julien Gasc, on le comprend. On est en accord avec lui. Son principe, nous l’acceptons sans ciller. Pour autant, trois exemples, trois points de divergence viennent perturber le calme ordonnancement de cette machinerie mouvante, en douces oscillations. Pas qui donne à entendre une pop plus ouverte, toujours anglaise certes, mais moins prisonnière de son intellectualisme. Circle Bar qui joue la partition d’un psychédélisme débridé, muet, free sur la fin. L'œil enfin, qui lorgne sans mauvais jeu de mots vers un rock relativement viril, entre garage et surf, mais que l’interprétation du chanteur semble contenir, brider. Kiss Me You Fool dont nous avons parlé pour sa dimension folk mais dont l’entame trahit une fois n’est pas coutume les goûts de son géniteur. Car dans ses premières secondes on jurerait entendre celle de Out-Bloody-Rageous, signé Ratledge. Julien Gasc, sans le savoir, aura poussé le vice jusqu’à enrober sa pochette dans un kraft (comme pour Third) que seule l’illustration, renvoyant à Tomorrow with Keith West, détourne de son but. Hésitation entre plusieurs propositions inspirationnelles, simple décalque d’un musicien, mieux d’un groupe qui hante définitivement notre songwriter au point de s’en revendiquer comme le meilleur copiste. Au fond – même si c’est avant tout question de forme –, pourquoi pas ? De cette référence éclatante, ne t’embarrasse pas, ô fou !

Julien Gasc, Kiss Me You Fool ! (Born Bad Records)

KISS ME YOU FOOL.jpg

http://shop.bornbadrecords.net/album/kiss-me-you-fool

 

 

 

 

 

 

 


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