Chocolat, bromance avant la transe ?

par Adehoum Arbane  le 20.12.2016  dans la catégorie A new disque in town

« La vie est trop courte pour être petite », confessait Benjamin Disraeli. Surtout, la vie est trop courte pour se perdre dans je ne sais quel délire de mecs, de geeks, de gaspiller temps et énergie à ne pas produire pour soi. C’est en substance le sentiment que l’on ressent à la découverte, d’abord amusée, puis enthousiaste du troisième – et conceptuel –  album de Chocolat, le side project du singer-songwriter Jimmy Hunt. Alors que les fans transis attendent le digne successeur du génial Maladie d’amour, Hunt se tape un trip avec ses potes musiciens. Il le fait de manière si effrontée, avec son talent habituel, son sens aigu de l’expérimentation qu’on y croit d’emblée. Alors qu’il serait légitime d’aspirer à l'excellence, de guetter le jalon supplémentaire dans la carrière de l’artiste, l’album qui poussera encore plus loin sa logique créative et émotionnelle, le jeune homme préfère procrastiner, instruments et console branchés. Il a mieux à faire, et pourtant il fait bien, il s’amuse de nous-même, triture notre patience, joue avec notre seuil de tolérance sans pour autant se diluer. Car c’est le grand mérite de Rencontrer Looloo : un disque inutile mais qui ne s’étire pas en longueur, un disque comme ça, mais comme ci-après : court, bref, urgent, intelligent aussi. Un disque suintant la rock attitude, et qui vous surprend toujours. Comment ne pas fondre, passez l’expression, devant la jolie baliverne de On est meilleurs qu’REM, au narcissisme triomphant. Morceau éminemment séduisant bien qu’il emprunte son intro à Tribal Gathering des Byrds. La mélodie flotte un moment, bercée par un sax velouté, avant que la voix immédiatement reconnaissable de Jimmy Hunt n’entre en scène. Et pour chanter qui plus est un refrain drôle, taquin, ironique – se prétendre plus pop que les rois de la pop alors que l’on déroule l’un de ces rocks aériens proches du meilleur jazz hispanique san franciscain. Le reste s’enchaîne tambour battant, cœur galopant, entre riffs vicieux et cuivre dérangé, très Stooges période Fun House, sans babiner. Ici, les morceaux dépassent rarement les quatre minutes, tous naviguent même autour des deux minutes trente, ce format parfait pour les ondes qui fit la gloire des hymnes garage. À l’instar du fameux disque The Zoo presents Chocolate Moose, le Lp semble lui aussi tendu comme un fil de guitare connecté à son ampli. Il y a un peu de From A Camel’s Hump dans chacun de ses titres. Une mystique de la vitesse, un art de la défonce. Ah Ouin, Golden Age, Les pyramides et le morceau titre dévient, dérapent et s’en vont. Aussi subrepticement qu’ils étaient venus. Dans cette première partie, l’électricité éclabousse, les paroles vocifèrent. Un « turn on, tune in, drop out » des temps modernes. Koyaanisqatsi (Apparition) est le liant entre une première face incandescente et la deuxième, moins retors. Quoique… En effet, Looloo et Mars donnent à entendre une musique plus apaisée. Mieux, Looloo pourrait largement, du moins dans ses premières minutes, figurer dans le prochain Jimmy Hunt. Mais non. Roublard, le musicien suicide cette magnifique entame où les mots poétisent l’instant, l’espace, la stoppant dans son élan céleste pour la transformer en maelstrom de colère rock. Idem pour Mars. On retrouve l’apparente sérénité de Hunt, sa mélancolie viciée, sa pop décortiquée, sans refrain ni rien mais qui offre tout. Si Les géants renoue avec la virilité du début, voix trafiquée, en retrait, Le Faucon le chacal et le vaisseau spatial nous emporte dans un tunnel inspirationnel débouchant sur du King Crimson pur sucre, mais très vite lardé de punk blême. La chanson finale Les mésanges enfin sonne folk dans le nom, mais n’oublie pas de se Pink Floydiser comme en 75, avec beau piano et belle guitare sèche comme on disait autrefois. À l’arrivée, nous n’avons bien sûr pas tout à fait perdu notre temps, non. La promenade fut belle, intense, hors des sentiers battus. Mais où donc est Jimmy Hunt dans tout ça ? Un peu ici, un peu là, mais pas encore là où nous l’attendons vraiment, seul, sans son band mais avec ses bandes. Dans son studio, chansons écrites, mille fois pensées, avec peut-être son producteur fétiche Emmanuel Ethier. Quoi de plus logique en somme ? Cela faisait des années qu’on n’avait pas entendu pareille chose, plus belle merveille. Maladie d’amour et ses quatorze titres, pas un de trop. Alors mec, entends notre supplique, à nous les fans ! « Laisse ta gang dehors » comme chantait Marie Michèle Desrosiers de Beau Dommage. Reprends le contrôle de ton destin, appelé carrière ici. Et donne un successeur à nos maladies chéries, un numéro trois curatif mais qui maintiendrait la fièvre encore quelques – précieuses – heures. Parce que c’est bon, bordel. Et que tu en es capable. Promis, on continuera d’écouter religieusement Rencontrer Looloo. Parce que Looloo, c’est nous. 

Chocolat, Rencontrer Looloo (Teenage Menopause)

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https://chocolatmtl.bandcamp.com/album/rencontrer-looloo

Photo de John Londono : https://www.instagram.com/johnjohnlondono/

 

 

 

 

 

 


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