Barbagallo, chien pas si fou

par Adehoum Arbane  le 13.12.2016  dans la catégorie A new disque in town

Arrêtons de faire de Paris l’épicentre de la créativité musicale. Vive la décentralisation ! Non, ceci n’est pas le slogan, la promesse griffonnée, braillarde, sur un tract de campagne à l’aube de l’année 81. À l’heure de la mondialisation, Barbagallo a décidé de donner sa chance à la régionalisation. De sillonner un imaginaire terrien, hautement émotionnel. « L’amour est le dernier pays ou j’irai marcher. Pourquoi courir le monde, à l’ombre de rien ? », chante-il d’un air faussement désabusé, en vérité d’une joie inépuisable. Jadis batteur au sein d’Aquaserge, la formation qui accompagna Bertrand Burgalat, le jeune homme s’en est affranchi pour voler vers d’autres latitudes, d’abord comme batteur de Tame Impala, puis sous son propre nom. Après ces années de voyages, de sans-frontiérisme inspirationnel, l’artiste a ressenti le besoin de se ressourcer. Besoin qui trouve dans Grand Chien, son deuxième album, sa plus belle expression. La tête dans les étoiles, certes, mais les pieds bien arrimés au sol. Il y gagne en honnêteté ce qu’il aurait pu perdre, au passage, en tergiversations, voire en risque inutile. Bien entendu, à l’écoute des dix plages, le risque s’avère payant. Bien plus qu’un grand chien, Barbagallo se montre tel un chien fou qui préfère s’ébahir en paroles et en musiques à propos de ces paysages avec lesquels il semble nouer un dialogue inextinguible. Ainsi dans la chanson qui ouvre l’album, ce Nouveau Sidobre est-il un pays lointain, pareil au Nouveau Mexique, ou plutôt une terre d’élection qui pourrait être son sud natal ? Tel un Nino Ferrer, voilà que notre musicien ayant pourtant cavaler avec le groupe le plus adulé du moment, se contente d’observer son pays, ses régions, ses valons, sa douce géographie aux tracés si féminins, sorte de belle endormie à deux caresses d’être réveillée. Parfois, le jeune homme pousse un peu plus loin, jusqu’à la Sicile, comme sur Mungibeddu. Mais c’est pour mieux saisir l’essence du monde, pas celui dépossédé de ses frontières, mais celui d’avant les hommes, un monde total ! Ce dernier est relié à l’auteur, ses racines semblent remonter jusque dans sa musique et ses textes d’où transpire la tendresse d’un fils qui raconte son père, à l’image de cet hommage touchant mais jamais lacrymal qui point dans Le carquois tchadien. Bien qu’une certaine mélancolie baigne l’album dans son entièreté, le psychédélisme moderne, apuré de ses oripeaux anciens, s’affirme comme le meilleur choix stylistique pour dépeindre ses jolis états d’âmes. La muse de Barbagallo ? C’est Manon des sources s’effeuillant sous la cascade fraîche où se mêlent des constellations minérales, où s’écoulent le flot intarissable d’une médiation traversée ça et d’orages opiacés. Pas grand monde, Le dernier pays – plus jovial dans sa forme – ainsi que le syncopé Longue la nuit valident ces impressions qui nous viennent en pagaille, comme autant de tableaux impressionnistes et coloriels. D’une extrême et habile cohérence, le compositeur poursuit sa quête en face b, et si Moitié de moi retrouve des accents entraînants, le reste de la tracklist nous emporte dans un songe mordoré, qui s’estompe progressivement jusqu'au grand final Wyattien de La vérité. On pourrait sans doute reprocher à Barbagallo de céder un peu facilement à l’étreinte d’une musique planante, ouverte, tridimensionnelle mais il serait injuste de nier à quel point celle-ci prend aux tripes, nous délivre de l’apesanteur, nous prive agréablement de notre enveloppe charnelle pour nous balancer ensuite dans ce grand fracas des sensations, et avec quelle virtuosité ! L’ami me dit et Oubliez-moi, malgré l’engourdissement, sont autant de variations sur le thème du voyage, fut-il intérieur, fut-il esquissé par le seul jeu de quelques guitares, de claviers dissouts jusqu’à créer un immense vide rassurant. Par vide il ne faut pas entendre vacuité, gratuité du propos ou même commodité. C’est ainsi qu’apparaît en vrai la musique de Barbagallo. À force de vous pénétrer, de vous remuer, cette dernière menacerait presque de vous disloquer dans l’infini de l’espace après une collision. Au point de vous effacer comme elle est parvenue à gommer les contours du visage du créateur sur sa propre pochette, à le fondre dans un jus de pastel.  Paradoxalement, c’est ce qu’on pourrait appeler faire corps avec sa musique, d’où cette dimension terrienne, enracinée qui finit toujours par revenir. Comme ce disque dans nos mémoires.

Barbagallo, Grand Chien (Arista)

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https://www.youtube.com/watch?v=jajkIsyrOUc

 

 

 

 

 


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