The Lemon Twigs, Cocteau Twigs

par Adehoum Arbane  le 08.11.2016  dans la catégorie A new disque in town

On pardonne tout à la jeunesse. Son audace, son insouciance, son insolence, son mépris des codes et des usages. De même que son talent. Grande oubliée des programmes et des promesses, la jeunesse exprime toute la démesure de son immense potentiel dans le libre périmètre du rock. Et ce depuis des décennies. Songez aux Beatles, aux Who et autres trublions électriques. Nous accorderons donc notre grâce aux deux têtes pensantes de Lemon Twigs, respectivement dix-sept et dix-neuf ans, pour leur pied de nez à la postmodernité, pour leur manifeste en faveur du beau, de l’œuvre incarnée, pleine de charme, aux heureux contours, une pierre vivante dirait l’évangile dans le jardin d’éden de la pop. Nous passerons très vite le chapitre des influences. Les deux enfants terribles sont allés piocher du côté de l’Angleterre, chez les Wings de 73 à l’évidence mais aussi chez 10cc. Fidèles à leur terre d’élection, ils ont également puisé leur source d’inspiration tour à tour dans les œuvres paysagées des Sparks et des Mothers Of Invention période Freak Out, sans qu’ils n’oublient au passage et le grand – dans tous les sens du terme – Todd Rundgren. « J'étais à mi-chemin de la traversée de l'Amérique, sur la ligne de partage entre l'Est de ma jeunesse et l'Ouest de mon avenir », écrivait Kerouac dans On The Road, et Michael et Brian de naviguer également dans cet étiage entre passé et futur, entre New York, dont ils sont originaires, et la Californie forcément rêvée. Les Brindilles de citron ont pour eux bien sûr le don d’écriture, une certaine maturité qui se ressent à l’écoute des dix chansons de leur premier Lp, Do Hollywood, mais aussi un sacré culot. Comment arriver à faire rentrer la pop désarticulée, fanfaronne des Kinks, la soul parfaite de Philadelphie, et ces puissantes symphonies gigognes qui fleurirent sur les cendres encore tiède de l’année 69, le tout dans un format relativement court de dix titres ? Sans bien sûr que rien ne déborde, sans que le résultat n’indispose, ne lasse ou ne paraisse qu’un banal exercice de style, un caprice de pop star miniature ? Sans doute la présence du Foxygen Jonathan Rado y est pour beaucoup. Leur ainé californien possède aussi la science des relectures parfaites, iconiques, cependant personnelles et singulières. La savoureuse mixture proposée par Michael et Brian D’Addario tient aussi – et surtout – à une connaissance parfaite de la culture pop, sous l’angle musical il s’entend. Avant tout, ils perpétuent une tradition remontant à la nuit des temps, celles des duo à l’image de Simon & Garfunkel, Sam & Dave, Sonny & Cher, Brewer & Shipley, qui plus est des fratries comme les Righteous et les Walker Brothers. L’album quant à lui s’avère un modèle du genre. Voilà pourquoi leur aplomb paye aujourd’hui. Il semble que les Lemon Twigs aient parfaitement observé, analysé, décortiqué l’album dans ce qu’il a de plus fini, parfait, absolu. Toujours commencer non pas forcément par le tube définitif mais par un morceau solide et entraînant. C’est ici le cas avec I Wanna Prove To You qui semble construit en strates, partant de la soul originelle pour bifurquer vers le doo-wop des fifties sur le refrain à ceci près qu’il dérive, sur le pont vers un motif mélodique typiquement McCartneyien. Si Those Days Is Comin' Soon lorgne de façon ostentatoire vers le Ray Davies que l’on préfère, celui des années 66-68, Haroomata s’offre un petit détour par la Californie psychédélique avec son clavier scintillant et sa fuzz vrombissante comme dans les meilleures chansons de West Coast Pop Art Experimental Band, pour virer A Wizard A True Star. La face A se déroule paisiblement avec Baby, Baby avant de se terminer, comme il est toujours de coutume par un premier tube, These Words en l’occurrence. Très laid-back dans son entame, sans rompre le fil qui le relie à Rundgren, la mélodie s’installe jusqu’au refrain. Celui-ci s’impose d’emblée. Mais le meilleur étant à venir, il prend des allures de chant liturgique après le deuxième couplet où les frères, accompagnés par les autres musiciens, portent haut dans le ciel baroque ces quelques mots simples et immédiats. As Long As We're Together lui succède, second single rappelant ceux de Foxygen (On Blue Mountain). Face B, on entend que la pression ne retombe pas, et les musiciens nous ont visiblement entendu. D’ailleurs, c’est souvent là que les 33 tours se perdent, que quelques morceaux de remplissage pointent le bout de leurs fragiles accords. Il n’en est rien ici. How Lucky Am I reprend le flambeau de la ballade au piano, pénétrante et suave, chœurs à l’état de grâce. Le grand final, lui, se décompose en trois parties : Hi+Lo, Frank suivi de A Great Snake. Hi+Lo d’abord qui débute comme le thème de L’espion qui m’aimait, plus précisément la scène où Bond et l’agent russe Amasavo (la sublime Barbara Bach !) arrivent dans la base sous-marine du méchant, l’impavide Karl Stromberg. Le reste tangue entre couplet tranquille et refrain en pleine cavalcade. Frank déboule, débonnaire. Instrumental sur les premières minutes puis chanté à l’aube de la deuxième minute – le morceau en compte presque six –, là encore le groupe impressionne l’auditeur par sa capacité à livrer des ensembles harmoniques en diable, produit avec tout le lustre qu’ils méritent. A Great Snake enfin, tout synthé dehors. Du haut de ses dix-neuf ans Michael soulève les foules par la seule force torve de sa voix, et envoie son refrain dans la stratosphère. Dans cet amoncèlement génial d’idées, de trouvailles et de fantaisie, le groupe se rapproche du Alice Cooper Band de la grande époque, de Love It To Death à Billion Dollar Babies, tout en restant lui-même, ce qui semblait au départ impensable. Ainsi, les frères D’Addario se confondent-ils sur la fin avec Paul et Elisabeth, personnages du roman de Cocteau, sauf que les premiers ont troqué la chambre des seconds pour un studio d’enregistrement. Tant et si bien qu’on en arrive à cette conclusion : autant artistiquement que d’un strict point de vue capillaire, nos jeunes pop stars ne manquent décidément pas de toupet.

The Lemon Twigs, Do Hollywood (4AD)

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https://www.youtube.com/watch?v=LncJE2otRVA

 

 

 

 

 

 


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