The Divine Comedy humaine

par Adehoum Arbane  le 18.10.2016  dans la catégorie A new disque in town

Balzacien, Neil Hannon l’est sans le savoir. Pas tant pour la pop à patine qu’il polit depuis plus de deux décennies. Balzac avait emprunté à la Divine Comédie son titre de La comédie humaine, et ce n’est ici pas vraiment un hasard. Reprenons depuis le début. D’un disque à l’autre, Neil Hannon perpétue les codes du songwriting pop à l’ancienne, il enlumine ses chansons d’instruments antiques, explore des registres que d’aucuns qualifieraient de poussiéreux, voire de franchement rétrograde. Ironie du sort, sa musique n’a jamais été aussi actuelle. Le musicien avait amplifié cette démarche de fond sur son précédent album avec – notamment – le génial The Complete Banker, une ode à la dernière crise financière en date. Neil Hannon possède ce don, à l’instar d’un Ray Davies, de brosser des saynètes, les petits tableaux de notre monde moderne avec une acuité, une drôlerie dont peu de compositeurs peuvent se prévaloir. Son dernier disque, l’impeccable Foreverland, en regorge. On pouffe à chaque couplet, chaque refrain nous arrache un sourire ; c’est ici la marque d’une élégance trop rare en ces temps contrariés. Il faut une distance pour oser chanter « When everything goes to shit, and everyone blames you for it, bad to worse, i go where i went first, i go to my happy place ». Le monde fout le camp ? Les têtes roulent, décollées par des sabres fanatiques ? Qu’importe, Neil s’en va dans son monde secret qui pourrait être la ferme dont il a fait la récente acquisition, mais aussi cet univers musical rassurant, fait de mélodies limpides et d’axiomes connus. Pour autant jamais il ne sombre dans le défaitisme, il se contente de dire les choses telles qu’elles se présentent à lui, avec une pertinence qui évite de tomber dans le constat plombant. Comme lorsque le capitaine du Titanic accepte de sombrer avec bateau et équipage parce que l’orchestre y joue l’une de ses valses à laquelle personne ne résiste. Héroïque, flamboyant, il ne s’en montre pas moins lucide, préférant s’engager dans la légion étrangère – en français dans le texte, l’homme est un besogneux – pour "oublier". Foreverland, c’est un peu Au bonheur des drames, le catalogue des vices de l’humanité, chanté à la perfection. Dans cet inventaire, Hannon a la classe de ne jamais s’épargner à l’image de Napoleon Complex – hommage au Short People de Randy Newman ? – qui le voit fustiger les hommes de petites tailles (dont il fait visiblement partie), compensant leurs maigres dimensions par une ambition démesurée. Il se dépeint également en homme désespéré dont on ne sait s’il s’enfuit comme un voleur, ou s’il part rejoindre sa belle. The Pact et To The Rescue abordent les continents de la politique sans pour autant se laisser corrompre par la figure de la Protest Song. Toujours cultiver la réserve. Avec un air de ne pas y toucher. Pourtant c’est bien dans le très beau Foreverland, le morceau titre, qu’il quitte ses habits de gentleman flegmatique pour se mettre à nu. La chanson y raconte un capitaine qui tente de convaincre son équipage que le monde auquel il rêve depuis sa plus tendre enfance existe. En vain. « I know that the crew are dying of hunger/But i’m sure it can’t take much longer/Till we can see Foreverland. » Ce pays rêvé parce qu’imaginaire renvoie à une autre Happy Place, une terre de refuge quand l’espoir semble nous quitter. Mais Neil Hannon se refuse d’apparaître en éternel rabat-joie, en marchand de misère, en oracle d’une prochaine apocalypse. Ainsi parsème-t-il son album de petites chansons joyeuses, Catherine The Great dédiée à son épouse, Funny Peculiar à la mélodie idiote et aux assonances enfantines qu’il interprète avec cette dernière et le très optimiste The One Who Loves You. Comme si à la fin l’amour triomphait de tout. La conculsion arrive et on allait passer à côté de l’essentiel. Foreverland est un disque rutilant, un brin passéiste mais toujours heureux dans sa manière de s’écouter, avec ses clavecins, ses accordéons et autres cordes ruisselantes. Tout comme la pochette, The Divine Comedy illuminera les quelques quarante minutes que vous passerez en compagnie de Neil Hannon, si vous l’acceptez. Tout y est divin, bien écrit joliment dit. Ce sont les choix stylistiques auxquels Hannon est depuis toutes ces années, contre vents et marrés, resté fidèle. Il s’y est consacré corps et âme, avec acharnement, méticulosité, honnêteté et brio. Venant d’un artiste balzacien, il y a de quoi être honoré.

The Divine Comedy, Foreverland (Divine Comedy Records)

The_Divine_Comedy_-_Foreverland.jpg

http://www.deezer.com/album/13925294

 

 

 

 

 

 

 


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