Pet Sounds, la messe est dite ?

par Adehoum Arbane  le 25.10.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

C’est le grand retour de tout. Du psyché, des synthés, de l’Histoire, de la Nation, des religions, du moins du religieux. En tant que fait mais aussi comme aspiration. Alors qu’il va être prochainement rejoué dans son intégralité comme c’est de coutume en ces temps de muséification de la pop, Pet Sounds s’affirme comme une œuvre puissamment religieuse, ô combien spirituelle. Pas seulement pour God Only Knows. Et bien avant SMiLE, sobrement qualifié de Teenage symphony to God. Le rapport de Brian Wilson avec les forces de l’esprit a toujours été particulier, singulier même, pour celui qui disait entendre tous les morceaux de SMiLE dans sa tête. On sait aujourd’hui que la fragilité du jeune homme, la rivalité avec son père – un tyran parmi tant d’autres – mais également sa vulnérabilité due à la consommation trop grande de drogues, l’acide en l’occurrence, ont largement contribué à éclairer ces fameuses déclarations, ce pan de l’histoire du groupe. Cependant, il existe bien une part de divin dans la musique qui habitait littéralement le jeune compositeur, et notamment celle de Pet Sounds. Et pas seulement dans sa dimension obsessionnelle, son extrême densité, sa complexité qui résonne paradoxalement avec une immédiateté déconcertante. On n’écoute pas Pet Sounds. On y entre. À pas feutré. Avec respect, en se signant. On y entre comme on pénètre dans une église, mieux une cathédrale. L’impression devient conviction sur You Still Believe In Me. L’amplitude, la profondeur du son, la restitution méticuleuse des instruments, clavecin, percussions diverses, klaxon, et puis l’interprétation, ces voix angéliques autant qu’angeliennes. Et ce moment où la musique donne l’impression de s’arrêter et où tous les chœurs repartent dans un paroxysme cristallin. Majesté, grandeur, solennité. La trinité qui définit Pet Sounds pour l’éternité. Malgré l’espiègle That's Not Me, Don't Talk (Put Your Head On My Shoulder) rejoue la partition chorale d’un office où le prêtre se mue en grand maître de la pop. Comme si le groupe remontait la nef dans une lente et mutique procession, percussion battant l’air comme l’encensoir dispersant ses effluves entêtants. Évangile de Phil Spector selon Brian Wilson. Car inutile de tergiverser, la parenté est ici évidente. Sauf que Wilson, loin d’en prolonger le principe, l’esthétique, la sublime littéralement ! Le grandiose I'm Waiting For The Day, le reposant Let's Go Away For Awhile et la sublime reprise de Sloop John B préparent le terrain à cet hymne pour l’hôtel, à ce chef-d’œuvre pour messe de Noël – les tambourins tombant comme la neige –, à ce jubilé mélodique qu’est et restera God Only Knows. Loin de surpasser la version mono, il faut prendre le temps de la comparer avec le pressage stéréo qui sculpte de manière proprement stupéfiante des motifs harmoniques, des paysages délicats comme si nous les eussions découvert pour la première fois. Vous allez entendre chanter les anges ! Jamais son auteur ne va chercher des artifices à mille lieux de là, pas d’exotisme toc, pas de falbalas inutiles, quelques instruments empruntés au baroque et le génie de l’écriture, le génie des voix parfaitement combinées, mariées. La splendeur botticellienne de l’ensemble qui éclate, irradie sur I Know There's An Answer dont on retiendra le refrain encore longtemps. I Just Wasn't Made For These Times, ce sont les noces de Cana où Brian transforme la technique en émotion pure – l’Electro-Theremin du final. Il est vrai, tout tient dans cet idée par la magie du son, le travail maniaque de studio, la lente besogne qui voit des morceaux enregistrés vingt, trente fois jusqu’à ce que ceci atteignent la perfection totale. L’absolue magnificence. Brian Wilson avait vingt-trois ans lorsqu’il entama les séances d’enregistrement de Pet Sounds. Vingt-trois ans lorsqu’il demanda à des musiciens confirmés – pour ne pas dire âgés –, peu habitués au nouveau langage de la pop, de retranscrire sans sourciller les idées précises qu’il avait conceptualitées. Il lui aura fallu de l’assurance, un certain culot pour obtenir ce qu’il voulait, et parvenir au résultat édifiant de Pet Sounds. Tout cela dans le dos de son groupe – frères, cousin –, parti en tournée. Juste retour du ciel, Pet Sounds en plus du succès commercial, fut salué par la critique, applaudi par McCartney jusqu’à être considéré aujourd’hui comme l’un des dix plus grands disques de toute l’histoire de la pop. Un disque si monumental qu’il fait vite oublier bien des choses, comme la surf music, genre dans lequel le groupe s’était coulé comme une vague, mais aussi la stupide pochette résonnant fort bien avec le titre, mais fort peu avec la musique. Au fond, et si nous nous étions trompés ? Et si ces animaux étaient ceux de la nativité ? La messe n’est pas encore dite…

The Beach Boys, Pet Sounds (Capitol)

Photo 7.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=LYUhN-HO6Kg

 

 

 

 

 

 


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