Anthony Phillips, voix au chapitre

par Adehoum Arbane  le 03.10.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Le cas d’Anthony Phillips n’est pas seulement singulier pour avoir été le tout premier guitariste de Genesis – et pour avoir quitté le groupe avant qu’il ne connaisse le succès. Non, Anthony Phillips pose sans le vouloir – sans le savoir ? – l’un des problèmes du rock que certaines formations avaient réglé dès leur fondation : proposer une véritable voix. Qui porte. Qui donne aux chansons le relief suffisant pour entrer dans la carrière et la légende. Certes, Phillips fut guitariste avant de chanter. Il le fit avec d’autant plus de talent que son jeu brille par sa délicatesse. De telle manière qu’il façonna l’identité sonore de Genesis, et ce avant l’arrivée du nom moins talentueux Steve Hackett. Sa discographie reste exemplaire d’un décalage involontaire mais qui cependant fait la force – tranquille – du musicien et par extension confère à sa musique un caractère éminemment touchant. C’est en 1976, alors que Genesis vient de perdre Peter Gabriel, que Phillips se lance en solo. Commencé plus tôt, The Geese & The Ghost est achevé fin 76 pour sortir au printemps de l’année suivante (qui voit le prog rock lentement s’épuiser). Déjà pour palier à ses propres insuffisances vocales, Phillips s’oriente vers une musique largement instrumentale, tirant profit de son style teinté de folk. Phil Collins viendra, si l’on ose dire, lui prêter main forte en chantant merveilleusement deux des chansons les plus courtes – le reste dépassant les douze minutes. Sur son deuxième album, Wise After The Event, le musicien n’écoute que son courage et décide alors d’interpréter lui-même la totalité des morceaux. Malgré des qualités instrumentales indéniables, des compositions de haute volée, l’album semble paralysé, comme enfermé dans le registre trop limité de l’apprenti chanteur. Et c’est bien dommage car en plus d’une magnifique pochette, le disque s’avère une réussite (presque) totale. Sans sombrer dans les caricatures du genre – Phillips s’y révèle un mélodiste inspiré –, comment ne pas se laisser amadouer, mieux, envahir par la magie de We're All As We Lie, Birdsong, Moonshooter et Wise After The Event sur la première face. Même étalées sur la longueur, les chansons frappent par leur franchise et leur immédiateté. Ainsi en va-t-il de Regrets – la chanson où le songwriter semble le plus vocalement à l’aise –, Paperchase et Now What (Are They Doing To My Little Friends ?). L’album ne connaîtra pas le succès commercial qu’il aurait dû amplement mérité compte tenu de la beauté, de la puissance – tout en subtilité – de l’ensemble. Mortifié, Anthony Phillips revient aux longs paysages instrumentaux sur le disque suivant, le très ambitieux Private Parts and Piesces. Mais en 79 avec Sides, il s’essaye au format pop tout en confiant à d’autres les clés de ses chansons. Si les deux interprètent qu’il choisit ne brillent pas par leur personnalité ou la force écrasante de leurs timbres – ce sont des anciens roadies de Genesis –, ces derniers portent haut les canevas mélodiques imaginés par Anthony Phillips. Celui-ci, même dans un cadre plus formaté, arrive à s’extraire de la masse, sans jamais s’affadir. En témoigne l’introduction efficace – et assez jouissive – de Um & Aargh. I Want Your Love – dans un genre proche de la soul ouvragée de Todd Rundgren – charme d’emblée. Le parti-pris dépouillé de Lucy Will quant à lui opère et surprend l’auditeur. Seuls Side Door, pourtant avenant, et Holy Deadlock déçoivent quelque peu. Sur la face b, Anthony Phillips retrouve les épopées progressives qu’il affectionne tant, sans paroles sur Sisters Of Remindum, romantique à souhait tout au long d’un Bleak House habillé de clavecin et où la voix de Dale Newman sublime un refrain déjà chargé en émotion. Magdalen poursuit dans cette veine acoustique, fragile et ténue comme un songe – c’est la grande marque de fabrique de Phillips. Le chant trouve des accents poignants sur la fin du couplet ouvrant un refrain solaire servi par la poésie des textes. Nightmare referme ce disque sur un point d’exclamation, une tempête de synthétiseurs, montrant un musicien moins effacé qu’il n’en a l’air. Même s’il ne parvient pas à atteindre la reconnaissance, Phillips continuera à produire des œuvres consistantes sans jamais se trahir, se fourvoyer dans un registre qu’il ne maîtriserait pas. Deux albums ont fait de Ant, comme ses amis l’appellent si affectueusement, l’une des figures oubliées des seventies anglaises à redécouvrir sans discuter, et peut-être l’artiste le plus attachant du genre.

Anthony Phillips, Sides (Arista)

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