Lafayette n’engendre pas mélancolie

par Adehoum Arbane  le 13.09.2016  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

Sur un malentendu, on pourrait bien s’entendre avec Lafayette. Entendre par là que cette mélancolie française dont il a fait un single et qui s’apprête à rejoindre son premier album, n’est pas ce sentiment nauséabond rappelant les heures sombres de l’histoârrrrrre. La France rance, rime pauvre parce que facile, a peu de chose à voir avec la chanson de ce discret auteur-compositeur, élégant et poli – à l’image de sa musique – appelé aux plus hautes fonctions, à un destin français selon les coups de canon de la pop aujourd’hui en vigueur. Et quelle vigueur ! Depuis quelque temps déjà, le jeune homme propose à un public qui ne demande qu’à s’élargir des chansons tout à la fois classiques dans leur forme, leurs références, et modernes, des chansons en français donc et qui expriment dès lors ce que l’artiste a sur le cœur tout en racontant leur époque, loin des pompeuses prétentions contemporaines. En sirotant un Saumur donc, en observant cette France d’antan et qui a tant d’atouts, passés comme présents, et qui cependant se refuse à les regarder en face, de peur d’être taxée de tous les noms. D’où la mélancolie en chanson, mais aussi celle de toute une Nation. Mais le sentiment, pour réel qu’il soit, ne cacherait-il pas un autre malaise, plus sourd, plus profond ? La difficulté à promouvoir, mieux à vendre sa musique surtout quand celle-ci se veut plus exigeante, plus ouvragée, difficulté qui sera abordée plus bas avec Lafayette. Si nous arrivons à la fin d’un cycle, c’est bien qu’un nouveau s’apprête à commencer. Il va falloir tout réinventer, à commencer par la musique et en cela, chanter en français, assumer son régionalisme est un premier pas décisif. Il faudra cependant aller plus loin en acceptant la destruction créatrice inévitable, souhaitable même et qui attend la production hexagonale, artistes et labels inclus. Dit comme ça, le constat est plombant, terrifiant mais passé au tamis des mots échangés à l’occasion d’une interview, des confidences, des visions, il se veut moins effrayant qu’il n’y paraît. Et pourquoi pas enthousiasmant ? D’autant que Lafayette ne se résigne jamais, il croit en son destin, il y œuvre. D’ailleurs, lorsque nous nous présentons, ce dernier discute avec le patron d’Entreprise de le tracklisting, étape cruciale précédant la sortie d’un album. Pas de laisser aller, il faut opérer les bons choix, délivrer ce premier disque dans ses habits les plus flatteurs et l’on sait – Lafayette sait ! – que le choix de la photo illustrant la pochette sera tout aussi stratégique. Ambiance réunion de travail, donc, avant de nous confronter à l’âme française de Lafayette, chanteur de la variété de notre passé littéraire et de notre futur pop… Populaire.  

 

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Shebam : Bonjour Lafayette.

Lafayette : Bonjour !

Shebam : Quel ressenti as-tu de la mélancolie française, d’abord la chanson et le sentiment au plan national ?

Lafayette : Je vais d’abord parler du sentiment national, je parlerai de la chanson après. Sur le plan national, l’idée de cette chanson m’est vraiment venue en me promenant dans Paris. Je trouvais qu’il y avait une impression étrange, avec toutes ces vieilles statues à la gloire du passé de la France. Il y a finalement beaucoup de monuments anciens mais très peu de choses qui symbolisent le futur de la France. Je me disais qu’il y avait un petit côté plombant parce que la ville est comme ça, assez vieille. Pour en avoir déjà parlé avec des architectes, c’est en effet hyper compliqué de construire à Paris parce que tout est classé Monuments historiques, tu ne peux rien détruire. Mais comme du coup tu ne peux rien créer de nouveau, tu restes enfermé dans le passé. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de poétique et d’à la fois claustro. Et en même temps, j’adore Paris, ce n’est pas une critique. Dans toute l’Europe du Sud aussi, en Italie, il y a ce passé luxuriant surtout en comparaison avec le présent qui l’est moins. C’est un héritage plus lourd, on va dire. Il y avait cette idée-là, mais également une référence à la Villa Médicis. Tu sais, dans ces résidences d’artistes on dit qu’il y a deux types de réaction : ceux qui se sentent galvanisés et qui se disent « je vais enfin faire des morceaux à mon échelle » et ceux que cela écrase complètement. Et je m’étais posé la question : est-ce que la France ne nous fait pas un peu ça ? Ce passé luxuriant, mythologique et glorieux ne nous écrase-t-il pas au lieu de nous sublimer ? C’était l’idée de départ en fait. C’était quoi ta question autrement ?

Shebam : Le sentiment général…

Lafayette : J’ai bien répondu ?

Shebam : Oui ! Et la réception de la chanson ?

Lafayette : La réception de la chanson ? 

Shebam : Du public, de la presse et ton propre ressenti. Tu l’as lâchée comme ça dans la nature… 

Lafayette : Bah écoute je ne sais pas, moi je suis plutôt content. Après je sais que ça ne peut pas être la nouvelle Lambada. Je ne m’attendais pas à faire le tube de l’été, ou alors j’aurais été surpris. De plus, c’est un peu un miroir du pays, on n’a pas toujours envie de se regarder dedans. Ce qui m’a amusé et un peu surpris, c’est cette idée que l’on retrouve dans les papiers : on dit que je suis ambigu, mais en fait je ne parle presque pas de moi à part dire « Je la sens dans vos âmes et vos bleus ». Sinon c’est une énumération, en fait. Cela aurait presque pu s’appeler La mythologie française dans le sens où ce sont un peu les figures marquantes de l’Histoire de France ou ce qui serait l’imaginaire, l’inconscient collectif de la France. Je me suis amusé à ne pas prendre parti, du fait de cette énumération, et c’est ce qu’on m’a reproché !

Shebam : Ça a jeté la suspicion.

Lafayette : Oui c’est cela, il y a malgré tout une forme d’ambiguité. Bon après bien sûr, je n’y ai pas pensé, mais si c’est le fait de chanter les colonies, je ne regrette pas le temps des colonies. Ça a existé, il ne faut pas ne pas le dire. Cette réception-là ne m’a pas gênée. Finalement c’est que cela interpelle quelque part. Sinon je suis content des retours. Par rapport à d’autres chansons, j’ai pas mal de messages de gens qui l’aiment vraiment, j’ai l’impression. Ceux qui l’aiment, l’aiment vraiment et cela me fait plaisir.

Shebam : Et ceux qui la détestent la détestent vraiment ? 

Lafayette : Je pense que ceux qui ne l’aiment pas, ne l’aimeront jamais. Et en même temps je préfère toujours cela pour une chanson plutôt qu’un consensus mou du genre, c’est pas mal mais tout le monde s’en fout. Enfin ça c’est mon avis. Mais je suis satisfait des retours. Après je suis ouvert pour en vendre des millions !

Shebam : Dans une récente réunion j’ai entendu cette expression fabuleuse « C’est l’époque qui nous briefe ». Tu en penses quoi ? L’air du temps te souffle-t-il des chansons ou non ?

Lafayette : Les deux, je pense. Je pense deux choses contradictoires. Pour moi ce que je trouve intéressant dans le fait de chanter en français, c’est que tu vis dans une société, tu es un citoyen comme tout le monde, et il est intéressant de s’emparer des thèmes sociétaux et de les mettre en chanson, quitte à ce que cela ouvre un débat, à ce qu’il ait des réactions négatives. Dans ce cas, oui l’époque peut nous briefer. En revanche, à l’inverse si l’époque te briefe juste pour faire une chanson du moment ou du jour, on s’en fout. J’ai l’impression que comme disait Chanel, « La mode c’est ce qui se démode ». Donc choisir la mode, je dis non, à part pour des raisons bassement commerciales que je pourrais comprendre. Mais que l’époque nous briefe parce qu’on vit à une certaine période donnée avec ce qui nous influence, oui cela me paraît logique. Même si parfois un point de vue complètement extérieur à l’époque peut être plus pertinent aussi. Je n’ai pas vraiment un rapport particulier avec l’époque.

Shebam : Parlons de l’album, quand sort-il ?

Lafayette : Je pense fin septembre, début octobre. Mais c’est susceptible d’évoluer. Cela ne dépend plus de mon fait.

Shebam : Pourquoi aujourd’hui un artiste met-il un à deux ans pour sortir un album quand les Beatles enchaînaient en trois ans des disques aussi fondateurs que Rubber Soul, Revolver, Sgt Pepper’s ?

Lafayette : J’ai l’impression, je peux me tromper, que c’est vraiment un critère économique. Quand tu parles des Beatles, à l’époque les gens achetaient des disques. Donc s’ils sortaient trois albums en deux ans, ils en vendaient autant. Si les Beatles sortaient des disques maintenant, sans doute leur maison de disques leur dirait « attendez, on vient d’en sortir un ». Pourquoi on met plus de temps à sortir des disques aujourd’hui ? Ce ne sont pas les artistes qui veulent ça. Ils veulent toujours sortir plein de disques, de toute façon. Moi si je voulais j’en aurais fait quatre et même s’ils n’étaient pas tous parfaits, au moins ça permet de passer au suivant. C’est compliqué de vendre de la musique. C’est vendu par des maisons de disques, forcément. C’est un business, ce qui est normal. Il faut se mettre dans leurs problématiques. Maintenant l’album arrive en bout de chaîne, c’est-à-dire qu’il faut que tu aies des gens qui te suivent, que cela intéresse un public. L’album sort, et après on voit bien ce qui se passe. Alors qu’avant il servait plus de déclencheur. Tu arrivais avec ton disque, tu profitais de la presse et ensuite, tu laissais passer les choses. De plus j’ai l’impression qu’il y a tellement de discussions. C’est difficile d’exister dans le flot d’offres. Et je pense que c’est pour cette raison que l’on sort moins d’albums. Peut-être faudrait-il poser la question aux maisons de disques ?

Shebam : L’industrie peut-elle encore s’adapter aux fracas créatifs qui se bousculent dans l’esprit d’un artiste ou sa nature même le lui interdit ? Est-ce deux mondes bien à part ?  

Lafayette : Je ne sais pas. Je ne suis pas un visionnaire de l’économie et de l’industrie du disque. Je pense qu’il y a deux solutions : soit il n’y aura plus de maisons de disques. Avant il y avait une espèce d’entrisme. La presse parlait de toi parce qu’elle connaissait le label, et cela faisait vendre des disques aux lecteurs qui lisaient le journal et ainsi de suite. Tu pouvais arriver en circuit, de l’intérieur. Avec des avantages et des inconvénients. Si tu n’avais pas cette carte, si tu n’étais pas à Paris et que tu ne connaissais pas les gens des labels, c’était un coup à ne pas sortir de disque du tout, ce qui est horrible. C’était un truc de réseau, vachement fort. Maintenant c’est l’inverse. C’est mieux puisque tu peux très bien décider de faire ton album chez toi un beau matin, poster une vidéo toute cheap sur Youtube et avoir plus de vus qu’une maison de disques, et donc toucher plus de gens. C’est possible que ce système se développe et que tu n’aies plus besoin de labels. Avec Internet et Youtube, c’est une possibilité. L’autre scénario envisageable est que les labels ne fassent plus de développement, qu’ils attendent de voir les morceaux qui font le buzz et qu’ils mettent juste l’argent pour aller les produire. Par exemple, ce n’est pas pour dire du bien de ma maison de disques mais je vais le faire : c’est ce qu’essaye de faire Entreprise, signer des artistes et faire ce que l’on appelle du développement. Prendre des artistes pas très connus et essayer de les faire exister un peu, de les faire sortir du lot. Mais il n’y a pas beaucoup de labels comme ça. Par exemple en major, ils ne savent pas le faire. Parce qu’ils n’ont pas le temps, parce que ce n’est pas rentable, parce qu’ils ont trop d’artistes. Il n’y a que les petits labels qui font cela, et il n’y a en pas 20 000 quoi. Moi je trouve ça bien que tout le monde puisse faire de la musique. Après ça engendre d’autres problématiques. Avant ce n’était pas mieux non plus. Si tu n’étais pas dans le réseau, tu n’existais pas.  

Shebam : Et puis il n’y avait pas Internet, toute cette technologique qui rend la musique plus accessible.

Lafayette : Oui ! En fait c’est un paradoxe : tout est accessible mais comme tout le devient on ne sait pas quoi regarder en fait.  Comme tout est en ligne, la question suivante est comment on aura accès à mes chansons au milieu des cent mille autres. Pourquoi parler de celles-ci et pas des cent mille autres ? C’est une nouvelle guerre qui commence. Chaque solution apporte de nouveaux problèmes, c’est une joie sans fin !

Shebam : Si tu le permets, dans notre dernier échange privé, tu as dit « quand les gens des blogs prennent-ils le pouvoir et remplacent les journalistes professionnels » ?

Lafayette : Je ne vais pas me faire des amis chez les journalistes professionnels.

Shebam : Peux-tu développer ? Je pose cette question parce qu’à mon sens artistes, labels, médias, on est tous dans l’obligation d’évoluer.

Lafayette : Avant Internet, ce que les gens de moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, tu n’avais qu’une seule source d’information. Je ne les connais pas tous mais il devait y avoir trois canards sur la musique qui faisaient un peu figure d’autorité, c’est-à-dire que leur avis tout d’un coup était important. À la base si tu avais de mauvaises critiques tu étais un peu emmerdé. Déjà, la musique vend moins. Dans les Inrocks, la musique est passée du format magazine à quelques pages. C’était vraiment un mag musique-cinéma dans mon souvenir. La ligne éditoriale a vachement réduit parce que je pense que cela faisait moins vendre de papier. C’est tout con. À un moment tu es un magazine, donc il faut vendre. C’est pareil, il faut comprendre les problématiques de tout le monde. Quand je disais cela, ma réflexion est que parfois tu es juste content d’avoir un article, et je ne dis pas ça du tout pour les Inrocks. Mais tu le lis et soit tu lis le dossier de presse, à peu près, à une virgule, soit c’est un papier qui parle de tout sauf du fond. C’est-à-dire « c’est un mec qui est comme ci, c’est cool ». Qu’est-ce que sociologiquement ça inspire, est-ce que l’artiste est cool ou pas, alors que tu attends que l’on te parle de musique, quoi. Si c’est un journal musical c’est bien pour te parler de musique et pas quel type d’acheteurs potentiels cela représente. On a l’impression d’être face à une étude de marché. Mais dans les blogs il n’y a déjà pas d’annonceurs. Enfin peut-être que la finalité du blog c’est d’avoir des annonceurs ce qui est possible, ça peut devenir un système avec un business model.

Shebam : Ça pourrait en tout cas ! Certains le font !

Lafayette : Ça doit exister, je suis sûr.

Shebam : Bien sûr ! 

Lafayette : Je ne pense pas que cela soit moins pro de ne pas avoir d’annonceurs, mais cela pourrait devenir rentable. Mais parfois je préfère l’article d’un blogueur parce que déjà ce n’est pas ton attaché de presse qu’il l’a soulé pour qu’il parle de ton disque, donc c’est plus flatteur. C’est quelqu’un qui avait envie d’en parler, qui le fait librement sans qu’on lui impose quoi que ce soit. Et puis il n’y a pas cette contrainte du nombre de signets restreint où il faut tout dire en quatre phrases. Et du coup en voulant tout dire on ne dit absolument rien. Il y a plus de place pour le fond. Cela fait du bien en tout cas, moi cela me fait plaisir et me rend heureux de voir les articles qui parlent du fond, qui sont un peu plus longs où il y a des idées et qui sont souvent plus personnels, vu que le blog est personnel. Alors qu’à l’inverse, un magazine va vouloir être un peu plus consensuel. Moi finalement ce que préfère c’est quelqu’un qui va dire « voilà, c’est mon avis, on peut ne pas être d’accord mais c’est le mien ».  Après on s’en fout que certains ne soient pas d’accord, l’important est qu’ils aient un parti-pris, une opinion. Parfois tu lis des articles, cela veut tellement faire plaisir à tout le monde que cela ne dit absolument plus rien. On peut être heureux qu’il y ait des blogs un peu comme on peut être heureux que des gens déformatent la Musique en postant leur musique. Sinon il faut faire le truc dans les canons pour passer à la radio. Il y a une vraie liberté, après je suis conscient qu’il y a à boire et à manger.

Shebam : Certes.

Lafayette : Mais ça c’est encore une autre problématique.

Shebam : Revenons à La mélancolie française. Y’a-t-il une marque de fabrique française dans la pop contemporaine hexagonale ? Question ô combien chauvine mais bon…

Lafayette : Je pense qu’il y a une marque française dans la pop, dans le sens où historiquement – peut-être pas là en 2016 – la musique s’est considérablement anglo-saxonnisée. Avant quand on pensait chanson française tu avais l’image d’Épinal, cette photo à la radio de Ferré, Brassens et Brel mais qui représentent un peu la marque hexagonale, c’est-à-dire la musique à textes. Plus littéraire et un peu moins pop. Après ça a tellement évolué. Gainsbourg est peut-être l’un des premiers à avoir créé ce pont avec la pop anglo-saxonne, dans la forme et un peu dans le fond, peut-être plus avec des formules qu’un style littéraire même si ça l’est quand même. Aujourd’hui j’ai surtout l’impression qu’il y a une espèce de renouveau ou alors c’est peut-être parce que je ne m’y intéresse plus. Des artistes ont envie de chanter en français, ce qui moi me fait plaisir car j’ai l’impression que c’est finalement un effet inattendu de la mondialisation. En fait la mondialisation, c’est la régionalisation. Tu vois ce que je veux dire. Comme tout le monde va chanter en anglais, on va vouloir un truc typique à l’encontre d’une sorte de syncrétisme chiant qui n’a pas d’identité. C’est peut-être pour cela que les artistes ont envie de chanter en français. Il faudrait poser la question à d’autres. Pour ma part, j’en avais envie parce que j’en avais marre de l’anglais. C’est une histoire d’âge, d’époque : à 25 ans je chantais en anglais avec un groupe qui s’appelait One-Tow, on avait fait deux albums. Je pensais que cela me ressemblait et puis en vieillissant J’avais l’impression de faire du yaourt avec un air inspiré, emprunté. Je me suis dis, je suis français, les mots en français ont une résonnance affective chez moi, pas en anglais que je le veuille ou non, même si je le parle bien. Ce n’est pas ma langue, il n’y a pas d’images, d’affect autour des mots. C’est cela que j’aime bien : tu as l’impression que si tu arrives à écrire une bonne chanson, ce truc très particulier va devenir universel, en tout cas pour les français, parce que tu peux toucher les gens en fait. Cela peut être un peu plus profond. Sinon tu mets « Alright ! » à la fin et puis ça passera toujours à peu près. Moi c’est qui m’amuse dans le fait de chanter en français. Peut-être que d’autres artistes auraient la même réponse. Je ne sais pas… En tout cas cela m’intéresserait de la connaître. Il y a pas mal de groupes entre guillemets jeunes, chantant en français, qui se montent – en fait des vieux jeunes mais comme maintenant on est jeune plus longtemps. À 30 ans on est encore jeune, tu vois, c’est l’avantage !

Shebam : Question syncrétisme : au fond, la mélancolie française, n’est-ce pas cette difficulté à assumer et l’héritage – Gainsbourg – et le présent – le champ des possibles ?

Lafayette : Ben si c’est l’enjeu, je pense. Je prendrais une image médicale : il faut reconnaître les symptômes pour pouvoir les guérir. Tant que tu les nies, tu ne pourras jamais trouver la bonne solution. Si tu as le mauvais diagnostic, on va soigner l’épaule alors que c’était un problème d’oreille. Moi je trouve qu’il y a une forme de mélancolie française, après je ne pense pas que cela soit indépassable. Je préfère penser ça et me dire qu’on va faire quelque chose qui ne soit pas mélancolique. Plutôt que de dire « Ah bon ? Mais pas du tout ». Après c’est un avis.

Shebam : Regrettes-tu la tendance revivaliste ? Ce serait quoi le son des années 2016 ? Y est-on parvenu ?

Lafayette : Je ne sais pas, c’est une bonne question. Je peux te dire une chose : ce qui est nouveau et même générationnel, c’est la mode du vintage. Aujourd’hui on aime bien les synthés parce que, putain, ils sonnaient bien. J’en parlais avec des gens qui faisaient de la musique il y a longtemps et qui disaient n’en avoir rien à foutre. Ils prenaient le dernier synthés parce que c’était le dernier. Le son n’avait aucun affect chez eux. Toi si tu écoutes un son de synthé analogique que tu aimes bien, tu te dis que c’est comme dans tel disque. Pour eux c’était neuf, ils voulaient l’instrument le plus moderne. Même dans les années 80, les gens que je connais et qui collectionnaient du matériel, étaient excités par la nouveauté. La culture du vintage, c’est exactement l’inverse dans le sens où on va être excité parce que ça sonne comme à l’époque. Est-ce que je regrette cette tendance-là ? Pour moi être un artiste – je ne sais pas si j’en suis un –, me renvoie à la phrase de Paul Klee : « avant de devenir un bon artiste il faut devenir un homme. » Je trouve que c’est normal d’avoir des modèles, d’avoir de l’affection pour eux, de vouloir les copier, cela fait partie du processus créatif. Mais je trouve que là où cela devient intéressant c’est le moment où tu les dépasses. C’est normal, lorsque tu commences à écrire des chansons, de les faire à la façon de parce qu’il faut bien se faire la main. Aussi, personnellement, on est content de réussir à copier quelqu’un qu’on a beaucoup aimé. Mais ce qui va faire, je crois, l’intérêt de ton travail c’est quand cela devient personnel et unique.

Shebam : Est-ce que du coup, quand on regarde en arrière pour aller chercher des choses assez cool, des sons de basse, finalement, la modernité ce n’est pas de regarder l’actualité, de se dire que les chansons qu’on écrit on une espèce d’honnêteté par rapport à ce qui est dit, à ce que l’on vit dans la société, loin des postures esthétiques qui comptent, qui ont leur charme ?

Lafayette : Oui ce qui est moderne c’est de parler de son temps. Tu vois, on ne va pas faire une chanson sur mai 68 aujourd’hui. Ça n’a aucun sens, je trouve. Ou à ce moment-là sur Nuit Debout. Sur la mythologique de mai 68 qui se retrouve dans Nuit Debout, tu vois, sans faire de socio. Oui la modernité, c’est s’adresser à ses contemporains. Après dans la forme, c’est encore un autre débat.

Shebam : Lafayette, es-tu comme Renaud – l’alcool en moins – un artiste engagé ?  

Lafayette : Je ne sais pas. Sinon je peux être comme disait Pierre Desproges « un artiste dégagé ».

Shebam : Romain Guerret d’Aline a dit exactement la même chose. Je lui demandais s’il était engagé, il m’a dit « dégagé » puis « enragé ».  

Lafayette : En fait je ne sais pas si je suis un artiste engagé. On entend souvent par « engagé » une sorte de militantisme soit de gauche, soit de droite. Moi ce n’est pas une question qui m’intéresse tellement. Je ne sais plus qui a dit ça : les problèmes de la France ne sont ni de droite ni de gauche. Je pense aussi que c’est un vieux débat, pour le coup. Pour moi, mon seul engagement est de réussir à faire quelque chose que j’aime et d’honnête et qui me ressemble, même si cela ne suffit pas pour que cela soit de qualité. Une fois que tu as dit ça, tu n’as pas tout fait. Disons que je peux être engagé dans certaines causes qui me tiennent à cœur, certains thèmes, on va dire. Ce serait ma façon d’être engagé. Je te rassure, je suis contre la faim dans le monde !

Shebam : Question « Dans les coulisses de l’album » : le tracklisting, c’est une étape attendue, redoutée ? Est-ce un sujet à débat ?

Lafayette : J’avais déjà enregistré treize chansons, ils ont voulu en enlever (Le label – NDLR). Après ce qui n’est pas facile, c’est que moi je les connais par cœur. D’ailleurs c’est amusant d’écouter un disque dans un ordre différent : cela ne va pas dégager la même chose. C’est comme la façon de se présenter : si la première fois qu’on te voie tu es de mauvaise humeur, on va dire « attention », et l’inverse si tu es accueillant. On dit souvent que c’est hyper important la première impression que tu fais. Quand on ne sait plus ce que tu penses, on va se référer à la première impression que l’on avait. Donc c’était un débat avec le label, moi je voulais juste que ça me plaise. Après il y a des chansons qu’ils voulaient enlever. Tu vois La Glanda, les gens l’aimaient bien, moi je ne voulais pas la mettre et puis on l’a réintégrée. Parce que si tu achètes un disque, tu es content d’avoir tout sur le même support. En même temps j’ai l’impression que les artistes se stressent lorsqu’ils font leurs morceaux, ce qui est normal, et les deux stress à la fin qui vont tout cristalliser, ça va être pour moi la pochette et le tracklisting. Parce que c’est le moment où tu laisses un peu partir ton enfant en disant « ne prends pas froid, mets bien ton écharpe ». Il y a un sentiment un peu comme ça. Parce que c’est la fin du processus et que cela va partir. Nous si on nous laissait faire, un album ne sortirait jamais. Je referais une retouche sur une chanson. Et puis en réécoutant, ton goût change au fur et à mesure des années. Tu pourrais très bien faire le même morceau toute ta vie, je pense. Cela doit être possible en changeant le titre selon les goûts de l’époque, selon ton humeur. Parfois tu te dis « là y’a un truc qui est raté », le lendemain tu trouves ça bien alors que c’est le même effet. Tu ne sais plus au bout d’un moment. C’est pour cela que les chansons, il faut les faire parce que tu as en besoin, que tu as envie de les écrire. Mais il faut vite en faire d’autres, sinon tu deviens fou.

Shebam : Les singles Eros Automatique – La Glanda tu y as répondu – et bien sûr La mélancolie française seront-ils dans l’album ou rejoueras-tu le coup de Strawberry Fields Forever et Penny Lane, absents de Sgt Pepper’s ?

Lafayette : À la base, La mélancolie française était le seul extrait, parce que cela faisait partie d’une série enregistrée pour mon premier album. Pour répondre à ta question, Éros Automatique, moi je l’aimais bien. J’en étais content donc je voulais la mettre. Et puis les gens voulaient La Glanda. Je me suis fait plaisir en faisant plaisir aux gens, ça m’a paru être un bon compromis. Sinon, c’est que des nouveaux morceaux.

Shebam : Question « Secret de fabrication » : le clip, l’esthétique, l’idée et derrière la visibilité, les vus, les likes, c’est l’enjeu en ce moment ? Quand on sait que la vente de disques est…       

Lafayette : La vente de disques est quasi inexistante. On ne sait pas pourquoi tout d’un coup un artiste va vendre 800 000 disques. Ça a un petit côté Loto. Après, tu me diras, tous les gagnants ont tenté leur chance. C’est un truc de concepteur-rédacteur. Il faut faire attention avec ça parce que cela peut paraître rassurant de voir que ton morceau peut plaire, peut entraîner des réactions, positives ou négatives, mais qui en tout cas existent. Il est sorti de chez toi et tout d’un coup, ça devient un objet social. Il ne t’appartient plus. Ensuite, le problème d’avoir accès au nombre de likes, c’est que je connais des gens qui tombent dans la folie du buzz, dans la dépendances aux likes. Ce qui est humain ! Je ne me mets pas au dessus. Tout le monde veut avoir plein de likes et plein de vus, ce qui est normal mais faut aussi laisser un peu pisser. Moi j’ai fait un mix pour Jérôme Echenoz qui s’appelle Le chrome et le coton. Ça a fait 600 000 vus, peut-être un million avec tous les médias cumulés. Si on me l’avait dit, je ne l’aurais pas cru et je n’ai rien fait de plus pour qu’il y en soit ainsi. Il se trouve que ça a été pris pour une pub, donc certes ça a aidé. Il faut accepter que ça t’échappe. Je pense que vouloir à tout prix maîtriser les vus, les likes – c’est normal de jouer le jeu et d’avoir une chance d’exister – te fait devenir esclave de tout cela.

Shebam : Je reviens sur le clip, cette obsession de faire un beau clip, quand certains sont ratés, que tout le monde se l’approprie, le partage, ne fait-il pas oublier l’essentiel ?

Lafayette : La musique !

Shebam : Une (bonne) chanson.

Lafayette : Je suis d’accord avec toi. Après c’est peut-être encore plus vrai de par les réseaux sociaux, la profusion des propositions musicales, le nombre d’artistes. J’aime bien faire des clips, je trouve que c’est le prolongement d’un morceau. Cela m’intéresse qu’il me plaise, qu’il soit réussi et à mon goût. En cela, je suis plutôt content du clip de La mélancolie, content qu’il marche. Pour les likes, c’est toujours la même réponse : advienne que pourra. Si tu en es content, tu n’as pas de regret. Si tu n’en es pas content, c’est autre chose. Moi si j’en suis content mais qu’il ne fait pas 200 000 vus en trois semaines, je serais satisfait. À l’inverse, si ça te plait pas et que ça ne marche pas, là tu te dis « fais chier ». C’est pour cela que j’essaie de faire quelque chose qui me plaise : je suis mon premier public. Si cela ne va pas, je ne vais pas assumer, pas être à l’aise. Tu as besoin d’assumer ce que tu fais sinon après, comment tu en parles ? Si tu ne le trouves pas terrible, que tu n’as fait que des compromis pour essayer de passer à la radio, comment tu fais pour en parler sans être gêné ? Tu es donc obligé d’être exigeant, avec toi-même en tout cas. Cela me paraît logique.

Shebam : On a l’impression d’être passé du « tous indie » au « tous frenchies » et on voit bien un retour en grâce du label « variété française » au sens le plus noble du terme (Sheller, Sanson période Stills, Christophe, Souchon). Y’a –t-il eu comme l’affirmait Gainsbourg retournement de veste parce qu’elle est doublée de vision ? Tu me pardonneras cet épouvantable jeu de mots mais n’y a-t-il pas des artistes qui ont pris le train en route ?

Lafayette : Sûrement…

Shebam : Quand d’autres ont chanté en français depuis le début.  

Lafayette : Si bien sûr, c’est possible. Après c’est un peu inévitable. En même temps dans tous les nouveaux, qui a un franc succès ? Populaire, je veux dire. Pas les branchés.

Shebam : Christine & The Queens ?  

Lafayette : Ouais mais ce n’est pas elle qui est copiée.

Shebam : PNL ?  

Lafayette : PNL, oui mais c’est du hip-hop. Ce n’est pas vraiment de la variété au sens classique. Concernant le hip hop, ça a toujours été l’inverse mais tu ne peux pas leur en vouloir.

Shebam : Stromae ?

Lafayette : Stromae, c’est vrai. Mais est-ce que ces gens-là se sont mis au français ? Je ne crois pas. Ils chantent en français parce qu’ils le sont. Je ne sais pas à qui tu penses quand tu dis ça. Je pense que c’est inévitable à partir du moment où il y a un mini créneau. Moi je me souviens avant d’être chez Entreprise, c’était en 2008 quand j’ai commencé à chanter en français, tous mes potes musiciens me regardaient en me disant « t’es fou, parce que c’est hyper dur, et tu vas te casser la gueule ». Parce qu’à l’époque chanter en français n’était pas cool du tout. C’est difficile d’écrire en français, il faut que les textes sonnent, c’est plus dur, moins flatteur. On entend et on comprend ce que tu dis donc, il faut que tu aies un truc à raconter sinon ça passe moins. Ils se demandaient si c’était du lard ou du cochon, ou par provocation. Alors que j’en avais juste marre de prendre un air pénétré en anglais. Maintenant c’est vrai que c’est beaucoup plus répandu.

Shebam : C’est presque l’inverse.

Lafayette : Après les maisons de disques, ça marche souvent comme ça : elles veulent toutes signer le même truc en même temps. Peut-être qu’il y a eu trois artistes en français qui ont marché et maintenant, les labels vont dire à leurs artistes qui chantaient en anglais de se mettre au français. Ça c’est possible. Donc de fait, ils le font parce qu’ils veulent du succès. Ce qui compte, c’est qu’il en sorte un truc bien. Il ne faut pas faire les choses pour les mauvaises raisons. L’Histoire n’est pas morale.

Shebam : Ça s’est structuré, il y a une vraie scène.  

Lafayette : Et puis quelque part, lorsque j’ai commencé, je n’étais pas seul – il y avait peut-être La Femme mais il n’y avait pas grand monde – et je trouve cela plus excitant et plus dynamisant d’avoir d’autres gens à qui se comparer. Cela peut être stimulant. Tu te dis « bon, faut pas non plus que je me laisse aller parce que je ne suis pas le seul et eux, c’est pas mal ». Alors que quand t’es vraiment tout seul dans ton bureau, t’as pas de label, t’as à moitié l’air d’un con, ta copine commence à te regarder bizarrement en disant « bon ben y’a un moment où il va falloir penser à trouver un travail ». Tu sais que ça fait chier tout le monde, que ce n’est pas cool d’écrire et de chanter en français. Tu vois je n’ai pas arrêté, je suis quand même content parce que j’ai continué. C’est plus facile de te dire que tu n’es pas tout seul, même si c’est une communauté d’esprits, de gens que tu ne connais pas. Tu vois Juliette Armanet, je trouve ça super. Moi je suis content de trouver des gens que j’aime bien, cela me motive. Je ne le vois pas comme une compétition, plutôt comme quelque chose de positif, une émulation. À la fin, les meilleures chansons sortiront… Du lot, je pense.

Shebam : Quel artiste ne t’a jamais influencé ?

Lafayette : Quel artiste ? Les Rolling Stones, je crois. J’aime bien mais je ne sais pas, je m’en fous un peu. Je n’arrive pas à m’exciter sur les Rolling Stones. Enfin à la limite leurs chansons des sixties, je préfère mais après vite, je ne sais pas pourquoi… Il y avait cette fameuse phrase : « Êtes-vous Stones ou Beatles ? » Je suis définitivement Beatles. Ça me touche plus, je ne peux pas t’expliquer.

Shebam : T’es plus Lennon ou McCartney ?

Lafayette : Alors j’étais plus Lennon même s’il y a plein de choses de McCartney que j’adore comme Ram, je ne sais pas si tu connais ?

Shebam : Ouais !

Lafayette : C’est l’un de mes disques préférés, tous artistes confondus je pense. Je préfère Ram à tous les albums de Lennon. Mais dans les Beatles, je crois que je préfère les morceaux de Lennon, même s’il y a des morceaux de McCartney que j’adore aussi.

Shebam : Parce que c’était la figure authentique ?

Lafayette : Je ne sais pas pourquoi parce que tu sais quand j’écoutais, j’étais petit en fait. Ça existait déjà depuis très longtemps. Donc il n’y avait pas de rapport d’identification ou alors ce n’était pas conscient. Peut-être que Lennon dégage un truc un peu plus fragile et McCartney beaucoup plus maîtrisé, plus professionnel, presque plus bourgeois dans le sens où je l’entends, c’est-à-dire dans la maîtrise des apparences. Tu sens qu’il ne va pas déborder, cela va être toujours juste, hyper pro, joli et tout, ce qui est assez impressionnant. Ce n’est pas facile d’arriver à ce niveau ! Lennon a un côté plus fragile. Il chante moins bien déjà, techniquement, mais du coup il y a plus d’émotion. Et moi ça me touche plus. Après ce sont les goûts et les couleurs. Peut-être que d’une certaine façon je m’identifiais plus à sa voix, sans savoir pourquoi à l’époque. Je ne sais pas, je préférais I’m The Walrus, Strawberry Fields même si les arrangements font beaucoup et que je pense que McCartney était au moins pour 50% du boulot.

Shebam : Tu évoques la voix de Lennon et là j’extrapole : quand on est artiste c’est difficile de s’écouter, d’écouter sa voix, sa façon de chanter ?

Lafayette : Ouais c’est comme souvent en photo. En fait c’est difficile d’être objectif. J’entends si je chante faux, je vais me le dire. « C’est faux, on va la refaire tout de suite, je m’excuse. Je suis désolé, j’ai raté. » Après moi pour la voix, bizarrement, je me fais assez confiance dans la vie. En fait j’essaye de garder une approche un peu instinctive. Est-ce que j’y crois, est-ce que je tends l’oreille pour écouter ce que je me dis, ce que cela raconte ou est-ce que je pense à autre chose, en fait ? Tout bêtement, quoi. Est-ce que c’est un peu prenant, émouvant ou pas, hormis tout l’aspect technique. Parfois, je préfère garder une prise qui sonne un poil faux mais où il se passe quelque chose, plutôt qu’une qui est bien, droite mais…

Shebam : Où il y a moins d’émotion.

Lafayette : Voilà. C’est un peu ça que je privilégie.

Shebam : Quel artiste écoutes-tu en secret que tu n’oserais jamais avouer en société ?

Lafayette : Franchement je pense que je peux à peu près tous les assumer. Parce que si j’aime bien, je sais dire pourquoi. Je m’en fous en fait ! J’ai toujours aimé Queen, tu vois, je sais qu’à un moment tout le monde te regardait bizarrement. C’était de mauvais goût et les solos de guitare harmonisés étaient hyper ringards. Mais moi je sais que j’ai toujours adoré.  Je peux écouter, ça me met en joie, je n’en ai rien à foutre que ce ne soit pas cool, peut-être ça l’est redevenu, je ne sais pas. Parce qu’il y avait toujours des gens qui adoraient Queen, d’autres qui trouvaient ça à chier. Bon, là il est redevenu cool alors que ce n’était vraiment pas le cas avant, bah moi j’ai toujours aimé la chanson de Balavoine, Le chanteur. J’ai toujours trouvé que c’était l’un des morceaux les plus honnêtes qui ait été écrit sur le fait de chanter. Et sincèrement, j’aurais aimé écrire cette chanson.

Shebam : C’est marrant ce que tu dis, c’est un truc de l’époque. Tout le monde redécouvre Balavoine.

Lafayette : Je ne sais pas pourquoi… Parfois t’as l’impression qu’avec un reportage le jour de l’anniversaire de sa mort ça fait le tour des médias, et c’est reparti.

Shebam : Je le lis partout dans toute la presse, je l’entends.

Lafayette : Pour Queen je ne comprends pas non plus, alors que Queen ce n’est pas le cas.

Shebam : Oui c’est marrant. Peut-être en redécouvrant l’homme. Moi ça me touche assez parce que je détestais Balavoine, puis j’ai réécouté, puis j’ai acheté l’album Le chanteur : c’était quand même pas mal. Et surtout j’ai découvert que le mec était un amoureux du son…

Lafayette : Oui et puis j’ai l’impression qu’il a quelque chose – bon je ne l’ai pas connu, évidemment – d’un peu touchant dans sa façon d’assumer vraiment qui il est. Il n’a pas l’air d’être un cynique ou un publicitaire. Je ne dis pas ça pour les publicitaires. Pour moi Gainsbourg était un publicitaire de génie. Je ne sais plus qui disait qu’il était plus touché par les textes de Souchon que ceux de Gainsbourg. Moi je comprends, je trouve cela plus touchant, Souchon. Mais bien évidemment Gainsbourg je respecte. C’est hyper bien écrit mais c’est plus froid parce qu’il est plus dans la maîtrise en fait, moins dans le lâcher prise.

Shebam : Gainsbourg est plus McCartney alors que Souchon serait plus Lennon.

Lafayette : Un peu ouais si on veut… Même si c’est difficile de comparer Gainsbourg à McCartney. En tout cas, ils ne sont pas rangés dans la même case.

Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu sur un disque ?

Lafayette : Quelle île déserte ? Elle est pas mal celle-là ! Qu’est-ce que j’ai fait comme île déserte ? Écoute euh… Faut que cela soit désert, désert ? Ou cela peut être n’importe quelle île ?

Shebam : Non, c’est un endroit, c’est une île, c’est… C’est une question ouverte !

Lafayette : J’ai été à l’île d’Ars, en Bretagne, j’ai trouvé ça pas mal. Je mettrais bien l’île d’Ars quelque part dans un disque. Parce qu’il n’y a pas de voitures et que c’est très franco-français.

Shebam : C’est la mélancolie bretonne ! On inverse les rôles. Pose-moi une question ?

Lafayette : Toi qui écrit sur la musique, as-tu déjà essayé de l’apprendre ou de jouer d’un instrument ?

Shebam : Alors un, on m’a posé cette question une fois, mais juste une fois. C’est assez marrant parce que c’est à la fois la question à laquelle je m’attends le plus, mais les gens ne me la posent pas toujours…

Lafayette : Ils n’osent pas.

Shebam : Non je n’ai jamais vraiment essayé parce que je sais que je n’ai aucun talent pour ça.

Lafayette : Je pense que tu n’en as pas vraiment besoin. C’est comme tout, ça s’apprend. 

Shebam : Il y a un moment, parce que toi tu assumes Queen…

Lafayette : Ce soir j’assume tout, je m’en fous !  

Shebam : J’ai été, je suis et je reste un fan indécrottable de Jethro Tull et il y a une époque où je me suis dit : tiens, c’est un créneau qui n’a pas été si préempté que cela…

Lafayette : C’est vrai !

Shebam : Si j’apprenais la flûte traversière…

Lafayette : Je comprends.

Shebam : … Et que je montais un groupe…

Lafayette : À la Jethro Tull.

Shebam : Et puis cela ne s’est pas fait. Je me posais et on me pose régulièrement la question et je ne sais pas trop y répondre pas tant parce que je n’ai pas envie d’y répondre mais plutôt de le faire. Je ne me vois pas à mon âge me mettre à apprendre un instrument. Ça va être chiant.

Lafayette : J’ai toujours voulu jouer du piano parce que je ne sais pas en jouer. Je sais faire (il mime les mains qui appuient violemment sur le clavier, NDLR) « cling cling cling ». Mais je ne sais pas jouer.

Shebam : Mais c’est un privilège en même temps de côtoyer les artistes, d’aller voir les concerts, d’écouter la musique, de collectionner tout ce qui existe autour de la musique. C’est quelque chose d’assez iconique mais pour mes 40 ans je voulais me faire offrir une vieille guitare. Je ne sais pas en jouer, je m’en fous ! Une Rickenbacker mais ce n’était pas dans mon budget ! Je me dis que le meilleur compromis ce n’est pas d’apprendre la musique mais d’apprendre à écrire sur la musique.   

Tout d’un coup, un cri venu de l’intérieur de la bande, de mon dictaphone donc, un tonnerre de larsen déchire mes tympans. Impossible d’entendre et donc de retranscrire la fin de cet échange passionnant, touchant à l’essence même de mon sacerdoce. D’autant que Lafayette semble bienveillant dans ses interventions, m’invitant à persévérer. Je peine à distinguer des bribes de phrases, des saillies comme on dit, quelques citations aussi de l’auteur-compositeur dont celui-ci raffole. Réalité du métier certes frustrante puisqu’elle vous prive de cinq minutes et trente et une secondes de discussion nourrie, polie mais franche. C’est peut-être au fond cela la mélancolie française, l’impossibilité non pas d’une île mais d’une interview française. Puis l’orage se calme. La voix métallique surgit à nouveau de l’enregistrement.

Shebam : C’est peut-être cela la voie médiane. Et en même temps parce que je ne voudrais pas tomber dans le cliché du rock critique qui… CRYZZZZKKKKKKZZZZ… J’ai lu comme ça un article qui m’a fait marrer. Quand tu es journaliste… CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Lafayette : Tu connais la phrase de Elvis Costello ? C’est dans un essai, qui n’est pas marrant. Mais il n’y a qu’une seule phrase drôle : « Parler de la musique c’est comme danser sur de l’architecture. »

Shebam : C’est vrai il a raison.

Lafayette : En gros, faut l’écouter. Et puis il y a Debussy qui dit « La musique ce n’est pas fait pour être écrit ». Parce qu’au conservatoire il y avait cette obsession d’une musique très écrite. CRYZZZZKKKKKKZZZZ… La musique ce n’est pas fait pour être écrit mais pour être écouté. C’est quelque chose qui relève de l’émotion, cela peut être simple. CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Ce n’est pas parce que c’est technique ou parce que c’est mieux. CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Shebam : Je rebondis sur ce que tu disais en début d’interview, à propos de la mythologie française. Dans la langue française il y a un rythme, un lyrisme qui fait qu’étrangement on peut faire de la musique en écrivant un texte, un poème, un essai, un pamphlet, un discours, que sais-je encore, une accroche, un slogan peut-être. Quand on ne sait pas faire de la musique on peut en faire par des moyens détournés. Du coup l’écriture journalistique ou littéraire est une sorte de compromis vers lequel je veux aller. CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Lafayette : Il faut avoir des ressources. CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Pareil pour moi, il y avait ce challenge d’essayer d’écrire des paroles en français CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Et je me suis rendu compte que ce n’était pas facile. C’est plus dur que ce que je croyais en fait. Il faut que cela rime, qu’il y ait le bon nombre de pieds, qu’il se passe un truc. Et c’est ce que j’aime là dedans. CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Shebam : CRYZZZZKKKKKKZZZZ… S’agissant du français je n’ai plus trop ce regard inquiet soit du texte un peu trop écrit, soit de la poésie sur-jouée et même parfois dans des constructions de phrases assez étonnantes, on se rend compte qu’il y a des choses qui marchent. Alors que si c’était dit comme ça dans une discussion, ça sonnerait un peu bizarre, prétentieux, CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Lafayette : Tu peux pas savoir qu’un texte est bien tant que tu ne l’as pas chanté. Pourquoi ? Parce que le même CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Tu voix un morceau, si tu le chantes avec une voix enjouée, on rigole. Si tu mets une mélodie triste avec les mêmes paroles ça ne veut plus dire la même chose. CRYZZZZKKKKKKZZZZ… La même phrase, sans changer une virgule, n’a plus le même sens si la musique est triste ou joyeuse. CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Shebam : CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Par rapport à ce que tu disais, à l’époque de nos chanteurs préférés, en musique, même dans la musique classique mais aussi dans le cinéma il y avait des critiques qui étaient redoutés, même parfois des gens qui se sont trompés. Alors qu’aujourd’hui, musique et critique musicale sont deux mondes qui se sont rapprochés, qui ont fraternisé, au-delà du côté groupie : Je suis des artistes parce que je mène une vie d’artiste par procuration…

Lafayette : « Je connais les Daft Punk ! Tu ne connais pas les Daft Punk ? »

Shebam : … Et je vois des filles, je prends de la drogue et c’est génial !  Je trouve que ces deux métiers ont appris à se regarder, non pas en chien de faïence mais avec une cordialité que je trouve, moi, plutôt agréable et qui n’est pas du tout cynique. CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Des cyniques… CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Lafayette : Y’en a forcément ! CRYZZZZKKKKKKZZZZ… CRYZZZZKKKKKKZZZZ… Satie est mort pauvre…

Shebam : Est-ce que tu es prêt à te couper une oreille pour que… CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Lafayette : Non ! CRYZZZZKKKKKKZZZZ… T’es sûr ? Non, je n’ai pas envie que ça marche… CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Shebam : Surtout une oreille quand on est musicien ! CRYZZZZKKKKKKZZZZ…

Fin surréaliste dans le fond – ce que nous étions en train de dire, nos répliques ponctuées de petits rires complices – comme dans la forme – ce défaut, ce filtre impromptu, ce cryptage non voulu qui vient tout troubler, rebattre les cartes. Une interview à la Lennon-Souchon, moins dans la maîtrise, plus dans le lâcher-prise et dans l’émotion, donc. Un échange où tout devient possible même ce qui ne devrait jamais l’être. Layette a-t-il avoué quelque chose de licencieux, s’est-il lâché loin de son affabilité du début ? C’est idiot mais vous ne le saurez jamais. De quoi continuer à être mélancolique, hélas.

Lafayette, La mélancolie française (Entreprise)

Photos : Marielle Schaus

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