Quand David n’était pas encore Bowie

par Adehoum Arbane  le 30.08.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

En 1967, David Bowie est un parfait ringard. Comme l’atteste son éponyme premier album. Un suiveur ? Même pas. À en juger par sa tête de puceau recto verso, Bowie n’est même pas à la hauteur du sergent poivre, de Syd et tant d’autres. Il aura ainsi loupé toutes les révolutions du Swinging London. Il faut dire que dans le genre Ray Davies de second rang, la promesse n’est guère enthousiasmante.  Pourtant il ne faudrait pas passer par pertes et profits ce premier album – premier essai – moins catastrophique qu’il n’en a l’air. Et ce malgré l’entame assez navrante de Uncle Arthur. Alors que d’autres s’amusent à bidouiller le psychédélisme naissant, souvent avec succès, pour ne dire avec audace, David Bowie épouse – mariage de raison ? – l’esthétique vaudeville, passablement poussiéreuse. Il le fait avec d’autant moins de génie qu’au même moment les Kinks le pârent des dentelles de la folk anglaise la plus exquise. Pour honnête qu’elle soit, la musique du jeune singer-songwriter passe certes comme une lettre des Indes à la Poste, mais ne reste jamais en tête. L’Histoire en a décidé ainsi. Voilà pourquoi il faut y revenir. Car dans cette porcelaine exhumée juste après le décès d’une vieille tante, on goûtera en plus de quelques merveilles, des atouts et non des moindres. D’abord de vraies chansons, prenantes bien que coulées dans le moule de la pop alors en vigueur. Derrière ses trompettes gondoriennes, There is a Happy Land résume à elle seule l’art de Bowie. Pas encore ce transformisme opportun, talentueux mais qui ne fait pas tout. Écoutez, écoutez bien. Car la chose s’avère assez rare pour être notée. Bowie en 67 chante déjà comme le Bowie de 70-71-72, celui des années fastes. Avec comme point d’orgue, la naissance braillarde et clinquante de Ziggy. Habituellement, lorsqu’on se penche sur les œuvres de jeunesse ou les démos des génies de la pop, on ne retrouve jamais ses petits. Prenez Jim Morrison et les premiers enregistrements de ses futurs standards freudiens. Même avec les moyens du studio, les instruments, la qualité et la force des compositions, rien n’y fait. La voix paraît fluette, peu assurée, comme si le roi lézard n’était alors qu’un vulgaire orvet. Revenons à Bowie. Passons ses chansons première époque à la loupe, et n’hésitons pas pour cela à investir dans la très belle rétrospective – la pochette ! –, Images 1966-1967. Au milieu des morceaux dispensables, Did You Ever Have a Dream, The Laughing Gnome, Little Bombadier, on découvre ces perles pop parfaitement emballées, We Are Hungry Men, Join the Gang, She's Got My Medals, Love You Till Tuesday, mais qui toutes, sans le vouloir, apparaissent comme le tremplin idéal pour la voix extraordinaire de Bowie dont on sent déjà la fascination pour le lyrisme de Scott Walker. Impression renforcée par le magnifique et iconique In the Heat Of the Morning. Puis comme ça, sans crier gare, quelques ovnis traversent le ciel de la galaxie de notre mini Bowie. The Gospel According to Tony Day, au-delà de ses chœurs datés mais géniaux, aurait pu figurer sur n’importe quel album suivant, fut-il imaginaire, jusqu’à Space Oddity. On confronte alors la bobine juvénile de l’artiste et la voix, ce timbre vibrant et à la fois puissant, et l’on pleure. On pleure d’autant lorsque surgit Come & Buy My Toys, guitare sèche – pas comme nos yeux – et basse sixties, deux instruments pour tout arrangement et le chant inspiré, limpide, posé, adulte du jeune homme. Deux minutes six secondes à tomber à la renverse, un soir de fines pluies non loin de Bond Street. Et puis on enchaîne sur Silly Boy Blue, Bowie nous terrasse avec pour seule arme l’amplitude désarmante de son organe. Revenir en arrière, sur un coup de tête, et repasser Sell Me A Coat, tout y est en plus souriant. Le Bowie twistant sa voix, testant les registres, glissant dans les aigus – Love You Till Tuesday – quand il faut, faisant couler sa poésie – les textes – dans la plus pure tradition britannique, sociale et mélancolique. Tout en restant lui-même, avant qu’il ne soit un autre, voire plusieurs. On a beau écarquiller les yeux, se le redire quasi en boucle, Bowie n’a que 20 ans et possède déjà la voix qu’il aura cinq ans plus tard lorsqu’il entonnera dans un orage électrique « I’m an alligator, i’m a mama-papa coming for you, i’m the space invader, i’ll be a rock’n’roll bitch for you ». Une demi-décennie se sera écoulée – à l’heure de la pop, des Beatles, Doors, Pink Floyd c’est beaucoup – à peaufiner son personnage, sa mise-en-scène, à trouver sa musique, le son que tout le monde lui enviera. Après, David Bowie deviendra cette rock star qui n’a pas besoin d’un The pour s’imposer, dans un retour de glam, comme le symbole du cool absolu.

David Bowie, same title (DECCA)

bowie_imagesB.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=rWOj_l1QMbE

 

 

 

 

 

 


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