Le rêve communautaire de David Crosby

par Adehoum Arbane  le 09.08.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Le communautarisme, voilà un mot qui ébranle nos consciences. Que l’idée paraissait douce lorsque l’adjectif communautaire était précédé du mot « rêve ». D’autant qu’il n’était chargé d’aucune connotation politico-religieuse. Aux prémices de l’ère hippie, le rêve communautaire est plutôt une aspiration à vivre une existence simple, à partager sans jamais rien posséder. C’est aussi le mirage d’une sexualité à plusieurs, là fut l’illusion de trop. Au-delà des clichés, cette idée prit souvent des formes mouvantes. D’un point de vue purement géographique, elle donna naissance aux mythes de Haight-Ashbury, de Laurel, à ce voisinage heureux où les portes des maisons restaient, dans tous les sens du terme, ouvertes. Pas de peur, pas de haine. Ça, c’était avant Charles Manson. Un autre exemple de cette volonté de mélanger les gens, de créer des cercles dans le cercle, les projets musicaux collectifs. Le premier album de David Crosby, If I Could Only Remember My Name, en est la parfaite illustration. Parce qu’il repousse les frontières en conviant tous les musiciens de son entourage, ses amis de l’Airplane, du Dead, Joni Mitchell, Michael Shrieve et Gregg Rolie du Satana Band pour participer à ces nouvelles compositions. Sans heurts, sans qu’il ne perde son moi profond, sans se retrouver noyé dans ce casting prestigieux. Disons-le, David Crosby a toujours été une personnalité singulière de la scène pop californienne. Déjà au sein des Byrds, il était ailleurs. Un pied dedans, un pied dehors, la tête dans les étoiles. Puis avec Stills et Nash, il trouva une forme de stabilité. Ils devaient ainsi former le trio vocal le plus fameux de l’histoire du rock. Même l’arrivée de Neil Young ne surpassera pas ces timbres d’anges murmurant une folk de cathédrale. En 1971, alors que chacun désire jouer sa propre partition, Crosby se lance en solo mais en réunissant ses amis autour de lui. Le résultat est miraculeux. La musique y crépite doucement. Même avec cet orchestre de stars, celle-ci demeure intime, spirituelle. Elle vibre, littéralement ! Music Is Love chante Crosby dès les premières secondes, tout est dit. On navigue loin de la béatitude hippie de bon aloi. Servies par la voix chaude du musicien, les notes semblent s’envoler. À peine remis de nos émotions, du sentiment de transcendance, Crosby enchaîne avec une jam électrique, mais électrique parce qu’elle nous branche avec l’humanité, son humanité. Cowboy Movie se pose comme un morceau magmatique, intense, si proche dans la communion artistique avec les chansons de son autre ami, Neil Young. Tamalpais High (At About 3), c’est le triomphe des harmonies vocales, de l’équilibre, de la fragile beauté d’un instant chamanique et trinitaire comme le suggère le titre. Les guitares s’y font limpides, non, languides. Quant à Laughing, il fait scintiller cette première face comme il avait auréolé la nuit live de 4 Way Street. Et témoigne du talent d’écriture de Crosby, fin mélodiste. N’oublions pas, Everybody’s Been Burned, Mind Gardens, c’est lui. Sur What Are Their Names, on reconnaît le feeling de Jerry Garcia, son piqué comme il est coutume de dire. Qu’il s’agisse de la tapisserie acoustique de Traction in the Rain, la lenteur bouleversante de Song With No Words (Tree With No Leaves), le cri de guerre de Orleans, en référence à Charles VII et au carillon de Vendôme, ou du final presque abstrait de I'd Swear There Was Somebody Here, tout dans cette musique s’avère l’exact reflet de la pochette. La promesse a été tenue. Le visage de l’artiste en plein dans un soleil couchant orangé qui se mêle l’ambre des flots. C’est une musique océanique qui jamais ne s’enferme, ose tout, la harpe sur Traction in the Rain, une musique qui ondoie au petit matin comme au plus fort de ces après-midis assommés de chaleur, comme au soir où le monde semble s’évanouir. Enfin, c’est une musique céleste, ce que l’on a fait de plus beau, de plus pur. Dans laquelle Crosby se sait entouré, c’est sa grande force, et d’où il tire toute sa magnificence. Rien à voir avec ces projets mégalomanes où des dizaines de guitaristes émérites se réunissent sur scène mais où la musique, sa raison d’être, son idéal se perdent en chemin. Splendide, cet album relativement confidentiel pour qui ne connaît pas les Byrds et Crosby, Stills and Nash and Young, se rapproche par son essence de l’album éponyme de Fred Neil sorti en 1967 et qui contenait son chef-d’œuvre éternel, The Dolphins. Une musique pour partir. Pas voyager. Mais partir. Ah, si seulement le monde pouvait se souvenir de ce nom, David Crosby ?

David Crosby, I f I Could Only Remember My Name (Atlantic)

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https://www.youtube.com/watch?v=Q18Tht5bBtg

 

 

 

 

 


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