The Limiñanas, novelists rock

par Adehoum Arbane  le 07.06.2016  dans la catégorie A new disque in town

Pris dans l’épuisante immédiateté du monde moderne, essoré par la lessiveuse médiatique, on oublie tout simplement de se poser, de penser. Il faut hélas l’avouer, la critique rock ne fonctionne plus qu’aux moyens d’étiquettes, facilité qui prive tout un chacun d’un droit à l’analyse qui devrait irriguer le journalisme pop. La musique des Limiñanas s’avère, par essence, référentielle. Elle puise son énergie, sa sève dans ce corpus musical que sont les musiques populaires, qui s’époumonent depuis plus de cinquante ans. Rock’n’roll, garage, fuzz pop ou psychédélisme cinématographique, on aura ainsi étiré tous ces concepts à l’infini au point de parler, d’écrire dans le vide. Revenons aux sources, pas tant du rock, mais du dernier album du duo perpignanais. S’il convient d’exhumer un seul groupe qui aujourd’hui fait l’unanimité lorsque l’on écoute ce Malamore si déroutant – des chansons en français interprétées presque toutes par monsieur, des pop songs en anglais livrées en grande partie par madame, des instrumentaux qui passent, vindicatifs, comme une course de voitures dans le désert –, ce sera – ô évidence – le Velvet. Pas tant pour son art de la guitare sinueuse, son utilisation parcimonieuse du tambourin ou ses batteries basiques, mais pour autre chose. D’ailleurs, laissons de côté l’album à la banane. C’est dans le deuxième opus, White Light/White Heat que l’on verra une similitude. Et surtout dans The Gift. Chanson un brin abstraite, rude, difficile à pénétrer. Logique, sur une enceinte on y entend la bande son du VU, sur l’autre le texte nu, récité de façon presque monotone. The Gift c’est le cadeau du groupe à Lou Reed (bien que chanté par John Cale), le singer-songwriter qui se serait volontiers rêvé romancier, novelist comme on dit en américain. Il est vrai que l’homme possède plus d’une corde à son arc dont cette plume acérée, précise, ouvrant des espaces littéraires dans un rock brutal, tout de cuir vêtu. Il fut le chroniqueur – à l’époque le mot était noble, épais – du New York interlope, moins chamarré que l’esprit psyché de Carnaby Street. On perçoit cette accointance littéraire dans certaines des meilleures chansons de Malamore. El Beach, Prisunic, Kostas ou Zippo. Certes, sur les premiers le verbe y est plus iconique, format pop oblige, il cherche et trouve toujours la formule, la rime éclair qui donne du charme à ces mini-récits accessibles en apparence mais qui toujours délivrent une certaine beauté formelle : « Ok/Un soleil à tomber par terre/Brûlant comme à Lamoricière/À la surface de l’horizon/Je contemple la situation. » On navigue à quelques encablures de poètes du calibre de Bob Kaufman, Lawrence Ferlinghetti ou, dans une moindre mesure, Gregory Corso. Faut-il le préciser, les deux âmes sœurs – en écriture comme dans la vie – n’ont sans doute pas eu la prétention d’égaler ces glorieux modèles qui s’imposent à nous, mais sans doute l’exigence, mais aussi le goût de la narration lou reedienne les a poussées à explorer tout un champ de l’introspection musicale au travers du juste mot. Pas de prose fleuve mais des instants – que le mot est laid – observés avec l’œil de l’aigle survolant Death Valley. Tel est le parti-pris de El Beach et Prisunic, les assonances y représentent les repères qui nous ramènent à la chanson. Et pourtant, sur l’autre face, le groupe aborde un autre versant. Une trame déroulée sans couplet ni refrain, où les personnages fictifs prennent le pas sur le chanteur/narrateur, le « je » se faisant dès lors plus discret. Kostas profite de la longueur pour s’épancher en chapitres, les parties entièrement musicales ayant pour fonction de ménager l’auditeur, d’instaurer le suspense ou d’en prolonger l’esprit par le jeu des instruments exotiques. Démarche identique sur Zippo mais dans un registre plus poétique qui n’empêche pas le personnage de Kostas de faire un Caméo éblouissant. Il serait sot de passer sous silence la musique, les airs charmants comme les moments de pures abrasions qui enrobent ces phrases lues, presque soufflées dans un rond de fumée de cigarette. Lionel Limiñana s’y révèle en guitariste émérite, violent, viril, entre Hendrix et Ron Asheton. Quant à Marie Limiñana, son épouse, son jeu de batterie hypnotique achève d’envoyer leurs chansons dans des mondes lointains, rêveurs, merveilleusement romanesques. Mieux sa voix tempère les moments les plus en tension d’une limpidité pop nécessaire, celle qui crée des respirations, accroche comme sur Dahlia Rouge ou le langoureux Paradise Now, hommage – subliminal ? – au mythique Group 1850. Fort de leur parcours, de leur histoire, les Limiñanas auront une fois de plus forgé un rock solaire, tout à la fois intelligible et intelligent. Et tout de suite nous vient l’envie, le désir ardent de les apostropher en disant : « à quand le prochain tome ? » Nous le recevrions comme un cadeau.

The Limiñanas, Malamore (Because Music)

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http://www.deezer.com/album/12434992

 

 

 

 

 


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