Juliette Armanet, l’art manié de la pop

par Adehoum Arbane  le 03.05.2016  dans la catégorie A new disque in town

C’est peut-être la chose la plus précieuse qui soit. Un graal pour certains. Un secret bien gardé pour d’autres. Tous en rêvent, car il fédère la pop au-delà du temps, des époques, nous parlons de ce satané refrain. Il est le trampoline sans quoi une mélodie, aussi parfaite, aussi pure soit-elle, ne pourrait s’envoler vers les sommets. Qu’il s’exprime en anglais ou dans la langue – plus châtiée – de nos grands littérateurs, seule compte son exactitude. Sa capacité à durer, à perdurer même. Juliette Armanet semble avoir décroché la martingale. De refrains beaux et chatoyants, son nouvel Ep en est pourvu. Chez elle ces derniers sont attachants, et dans tous les sens du terme. Leur sentimentalisme suave joue les sparadraps : on a beau les secouer, jamais ils ne vous lâchent. « Y’a comme un manque d’amour/Ouais/Je ressens un manque d’amour/Tout autour dans moi», lapidaire, la formule n’en est pas moins entêtante qui s’enchaîne ad lib jusqu’à la fin, telle une tourmente dans laquelle l’auditeur serait irrémédiablement emporté. Même constat, édifiant, sur le single qui donne son nom à l’album, Cavalier seule : « Oui, la liberté est mon animâle/Je ne sais si c’est bien ou mal/Cavalier seule/Femme cheval », ce refrain sonne comme un hymne, un cri de ralliement et c’est grand. « J’ai dessiné/Ton nom et ton adresse/Là sur le côté/Ça fait comme une promesse/Dieu qu’elle est banale/La petite carte postale/Qui fait du mal », là encore Juliette Armanet se pose en miniaturiste des états d’âme, elle le fait avec un art consommé, une simplicité peu biblique mais ô combien fantastique. « Adieu tchin tchin/Avant toi j’étais qu’une gamine/Avant toi j’avais le cœur blond platine », idem et on aime. Cependant il serait sot de réduire la singer-songwriter à cette unique qualité, aussi essentielle soit-elle. Car les couplets proposent, eux aussi, leur lot de formules cinglantes, ciselées à l’extrême, des punchlines dirions-nous aujourd’hui. Chez Armanet, l’écriture n’est pas un vain mot, chaque mot vint comme ça, enfin on l’imagine, dans la nuit de l’inspiration. Si l’on pousse la réflexion aussi loin que la musique repart, en boucles moutonnant sur ce dos nu, nous affirmerons qu’à l’instar du film du même nom, Juliette Armanet maîtrise paroles et musique. Là encore, sa connaissance éblouit : la jeune compositrice a ainsi assimilé tous les codes de la pop nobiliaire. La musicalité autant que la profondeur de l’enregistrement, les éléments que l’on retrouve ici – basse ronde, sax antique, claviers en pagaille comme dans les plus beaux disques de Kate Bush –, tout cet attelage instrumental se met au service des chansons. Et convoque au passage, non les fantômes oscar wildien mais ceux des grands orfèvres des décennies passées. On pense au velours des Lp de Sanson, Sheller. Mais jamais Armanet ne sombre dans les océans du passé, non seulement elle les remue en sublimes tempêtes, mais elle fait surgir de cette masse impénétrable ce qu’il faut de modernité pour inscrire ses chansons dans le présent. Cavalier Seule, le titre, en fait l’éblouissante démonstration. Enfin, l’interprétation. La voix ! Claire et à la fois brumeuse, c’est quelque chose d’assez irréel qui semble s’évaporer mais qui persiste, porte au loin. Prenez toutes ces caractéristiques et méditez ceci : on en retrouve une ou deux par chanson, par album, par artiste. Pas plus. Ce qui s’avère déjà notable. Juliette Armanet, elle, les synthétise tous sans exception pour créer un rêve de pop éternelle. Un sésame qui devrait en toute logique lui ouvrir bien des portes, celles du succès. Mais attention ! Si Juliette Armanet chante les relations qui tanguent, les amours déçues – au féminin, c’est si beau –, Cavalier seule pourrait livrer une autre confidence, qui resterait un mystère si l’on décidait d’écouter cette chanson en passant son chemin. Car l’auteur nous prévient, ce vouvoiement ne s’adresse pas tant à l’amant un brin séducteur, celui qui fait tapageusement étalage de ses saphirs et élixirs, mais peut-être à nous, public ! « Cavalier seule » pour témoigner d’une ambition, pour tracer une route, un destin. Pour dire « J’y vais ». Et galoper droit vers l’horizon dégagé, sans obstacle pour infléchir sa course. Autant de révélations, en quatre chansons seulement ! Car à pérorer à l’infini, on en oublierait ce fait, sans doute le plus important. Nous n’en sommes qu’au Ep. On partirait bien avec Juliette Armanet – est-ce un désir cavalier ? – faire trente trois petits tours, chevaucher la pop en amazone comme elle le fait si gracieusement. On tenterait bien notre chance au poker. En attendant, on lui répond « banco ».

Juliette Armanet, Cavalier seule (Barclay)

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http://www.deezer.com/album/12983448

 

 

 

 

 


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