Chatelard, le dix-neuvièmiste

par Adehoum Arbane  le 24.05.2016  dans la catégorie A new disque in town

L’artiste, cet être tourmenté, obsédé. Pas tant pour son étrange manie de toujours réécrire, de repeindre couche après couche une œuvre qui ne peut être figée. Chez Alexandre Chatelard, l’obsession va plus loin, même si elle passe par cette exigence maniaque. Sans peut-être le savoir, cet auteur-compositeur bien connu des radars de la création musicale post-moderne s’avère, paradoxe ultime, un dix-neuvièmiste. Un amoureux des temps anciens, littéraires et picturaux auxquels il fait référence. L’art académique – ne pas entendre conventionnel – dont il est question ici s’efforçait ainsi d’approcher la perfection en multipliant les détails, en bariolant la toile, en tendant vers la profusion ! Malgré l’ajout de référents contemporains – Le bureau, La Nostalgie de Noriko –, c’est plus fort que lui, il faut qu’il retrouve les lambris d’un passé où le prestige et la splendeur empruntaient les formes du romantisme. Mont de Vénus qui – pardonnez – ouvre l’album appartient autant à Verlaine qu’à Mallarmé, aujourd’hui à Chatelard. Romantique Pute quant à elle suggère les boudoirs, bordels et autres cabarets que le Parnasse devait invariablement fréquenter. On trouve ainsi dans la tracklist plusieurs indices de cette fascination toute française pour une Bohème qui n’a rien à voir avec la bourgeoisie actuelle des pistes cyclables, des bonnes tables où l’on planche davantage sur le choix du vin que sur des alexandrins. D’ailleurs, on pousserait bien le vice jusqu’à le prénommer ainsi : Alexandrin Chatelard. Chaque titre à sa façon, qu’il soit ouvragé dans les arrangements, outragé dans les mots, replace aussitôt l’œuvre dans sa filiation Villiers de L’Isle-Adam, José-Maria de Heredia jusqu’à Paul-Jean Toulet – La Jeune Fille verte de l’écrivain trouvant un écho dans Les Yeux Verts de Chatelard. L’analogie ne vaut pas tant pour le texte, les paroles de ses chansons – au nombre d’or de douze – mais bien pour l’esprit qui les irrigue. Celle-ci fonctionne avec la musique toute en Chantilly, le château non la crème du même nom. Les mélodies, la production synthétique cependant traversée d’éclairs orchestraux, de cordes d’abondance, ce lustre-là a quelque chose de déroutant et en même temps, il enthousiasme nos oreilles, nos esprits. Il fallait oser. Oser ce grand barnum aux accents rutilants, précieux, pompiers, ce maniérisme paradoxalement ciselé. Comme sur Alexandra où le musicien convoque en quelques secondes Brian Wilson, Giorgio Moroder et Claude François – le refrain, surtout. C’est sans doute le titre Reconstitution qui symbolise le mieux l’ambition d’Alexandre Chatelard. Ce dernier opère bien une véritable reconstitution musicale dans la méticuleuse diversité des instruments antiques, qu’il exhume pour notre plus grand bonheur. Parfois de façon exagérée, systématique, emphatique, mais on lui sera gré de tirer vers le haut et les ors cette pop qui trop souvent baisse d’un cran, à force de se vouloir trop contemporaine. Mais l’écueil de ce premier album n’est-il dans cette volonté d’explorer « L’art pour l’art », théorie attribuée à l’immense poète Théophile Gautier  et qui affirme que la création doit être dépourvue de toute fonction didactique, morale ou utile. En ce cas, si Elle était une fois embrasse les canons de l’esthétique pure, la réalisation aussi ambitieuse soit-elle se heurte aux limites mêmes de la chanson. Peut-être Alexandre Chatelard devrait-il se réinventer en musicien total, ouvrir des voies symphoniques, pas nécessairement celles, attendues, de la musique de film. Lui seul serait capable d’insuffler à la musique classique cet élan, ce lyrisme, cette belle âme romantique loin de l’hermétisme ambiant et de la prétention souvent affichée, et qui ne résiste pas à l’examen critique. Malgré tout, on restera ébloui par la trouvaille fantastique de ce refrain addictif, cérébral mais iconique que l’on entend si l’on ose dire dans le Bureau : « Mi tocard, mi héros ». Il existe à n’en point douter un espace que Chatelard pourrait cependant préempter : les champs magnétiques sur fond de chants grégoriens. À la manière d’un David Axelrod, bien que comparaison ne soit pas raison. À lui d’imaginer l’oratorio profane qu’un obsessionnel de Géricault ne manquera pas alors d’immortaliser.

Alexandre Chatelard, Elle était une fois (Ekler’o’shock)

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