Premiata Forneria Marconi, classique latin

par Adehoum Arbane  le 28.03.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

D’une certaine manière, la musique classique était la pop des temps anciens. Les compositeurs incarnaient l’avant-garde et jouissaient en même temps d’une grande renommée. Ils voyageaient de pays en royaumes pour jouer leurs œuvres devant les grandes cours d’Europe. Ils s’appelaient Bach, Mozart, Wagner, Chopin, Berlioz, Ravel, Purcell, Vivaldi, Rossini, Puccini. À cette époque donc, quatre nations dominaient : l’Allemagne et la France, dans une moindre mesure l’Angleterre et bien sûr l’Italie. L’Italie, pays dont la puissance patrimoniale fit écho jusque dans la musique mais en cultivant certains particularismes, un romantisme échevelé, un lyrisme latin à l’image de son peuple, de ses provinces ; charmeur et solaire. Ce marqueur identitaire semble avoir passé les âges, les genres pour imprégner de façon profonde le courant du rock transalpin dont le prog demeure, sans doute, l’expression la plus admirable. Si les formations progressives ne sont pas légion, si l’on ose dire, trois d’entre elles se sont vite imposées par rapport à leurs rivales anglaises : Le Orme, Banco Del Mutuo Soccorso et, autre patronyme à trois bandes, Premiata Forneria Marconi. De loin le plus intéressant, du moins le groupe qui a proposé la musique la mieux assimilée. Rapidement signé par Manticore – le label d’Emerson, Lake & Palmer – après deux albums convaincants, PFM se distingue d’emblée de son démiurge. En embrassant une inspiration au raffinement extrême, qui lui portera chance. Ainsi, le quintet débute-t-il l’année 73 sous les augures de la consécration avec un troisième LP, Photos Of Ghosts, ici enregistré en anglais. Tout comme la musique classique à laquelle on peut légitimement le comparer – au-delà de la dimension symphonique propre au prog rock –, Photos Of Ghosts s’écoule dans le lit d’une tradition purement latine, faite de préciosité, toute en fraîcheur champêtre qui pourrait, par moment, prêter à sourire. De même que Rossini empruntant à la culture populaire ses airs qu’il enlumine de clavecin et de piccolo sur Le barbier Séville, Premiata Forneria Marconi use de stratagèmes identiques, au début de River Of Live notamment ou sur la longue suite Il Banchetto, pour le coup, chantée en italien. Avec ses rivières de harpe, son passage agaçant au synthé et orgue de barbarie, PFM semble s’égarer mais on lui pardonnera ces petits écarts stylistiques tant le reste resplendit littéralement. Car c’est bien dans un registre vaporeux que le groupe donne le meilleur de lui-même. Comme sur le final extrêmement touchant de Il Banchetto. Ou dans les breaks nimbés de River Of Live, de Celebration, sans oublier bien sûr le morceau titre Photos Of Ghosts. Ô surprise, avec Old Rain les musiciens se muent en jazzmen audacieux, mais toujours sobres, dans la lignée d’un Stéphane Grappelli, autre héros d’une Italie que l’on aime par-dessus tout ! Mais revenons au propos. Cette légèreté de l’opéra italien poudroie ici et c’est un régal de se laisser emporter sans complexe dans cette valse lumineuse et aérienne qui doit aussi au savoir-faire des musiciens. Grands techniciens, Flavio Premoli, Franco Mussida et Mauro Pagani pratiquent avec délicatesse un art musical tout en pointillisme. Alors, quand PFM cède à un rock en vigueur à l’aube des seventies (Mr. 9 'Till 5), il perd automatiquement de sa magie. Heureusement, il a le goût exquis de finir l’album comme il l’avait commencé, dans le calme matin d’un piano serein, guide idéal d’une douce errance appelée Promenade The Puzzle. Il faut noter, en plus de la virtuosité sans qui le prog rock n’est rien, du talent d’écriture sans lequel il ne serait qu’une jolie coquille vide, un don – oui un don ! – pour les harmonies vocales qui ne sont pas sans rappeler celles des quatre de Liverpool. Ce phrasé très pop, en plus d’une longueur d’album relativement contenue, concourt à faire de Photos Of Ghosts un authentique chef-d’œuvre et ce, malgré ses légers stigmates pompiers. Quels que soient les titres, y compris celui chanté en italien, le disque conserve de son unité, de son éclatante immédiateté, rien ne vient en troubler l’écoute ni laisser une impression de gêne. Au contraire. Pour s’en convaincre, il suffit de passer la version originelle, le très touchant Per Un Amico, gravé l’année précédente et qui contient déjà quelques-uns de ces thèmes baignés dans la langue maternelle, sans que cela n’en altère la grande beauté. Le succès artistique et commercial qui accompagne la sortie du disque n’empêchera pas PFM de connaître le destin de toutes les grandes formations progressives, soit une vision du genre pervertie à force de céder à la confiance et à la quête – incessante – d’un perfectionnisme formel désincarné. On restera là, à contempler ces photos fantomatiques, saynètes à l’image d’une bergère sur sa cheminée. Un objet poli et délicat, fin et adorable. Héritage d’une Italie merveilleuse, stendhalienne, et que l’on redécouvre avec un immense et progressif plaisir.

Premiata Forneria Marconi, Photos Of Ghosts (Manticore)

cover_258222072009.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=CFPYTxUlR2c

 

 

 

 


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