Cressida, folle élégance

par Adehoum Arbane  le 21.03.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Et si derrière les stéréotypes culturels, jaillissait – haut et fier – le soleil de la vérité ? Ainsi l’élégance reste la marque indélébile des britanniques. Preuve en est le deuxième album de Cressida – Asylum –, paru en 1971 sur le mythique label Vertigo. Car derrière cette pochette Syd Barrettienne se cache un disque exquis, mêlant avec une grâce infinie – savamment dosée – jazz, pop et envolées progressives mesurées. Disons-le d’abord pour en être débarrassé – la comparaison n’est pas honteuse, voire plutôt flatteuse –, Cressida pourrait largement s’inscrire dans la scène de Canterbury, lui manque peut-être cet orgue fuzz pour y prétendre. Pourquoi rapprocher la formation de cette école, toute à la fois mythique et prestigieuse ? Par sa délicatesse extrême et la voix de son chanteur aussi – le très inspiré Angus Cullen –, Cressida laisse à entendre un Caravan non pas du pauvre, mais bien un cousin direct. Son appétit pour les jolies mélodies, cet art de l’émotion crescendo dans les progressions d’accords et les explosions instrumentales, montre une proximité évidente. Deuxième constat qui dépasse de loin le cadre du groupe, l’Angleterre est bien la nation qui a le mieux réussi l’alliage Jazz et Rock, elle demeure aussi celle qui a proposé la scène la plus consistante, et la plus talentueuse. En plus d’évoquer Caravan, il faudrait bien évidemment citer Keith Tippett, Julie Driscoll (son épouse, qui deviendra Julie Tippett sur son second opus), mais aussi Trinity, Affinity, Colosseum, Nucleus, If, Tonton Macoute. Cressida s’en détache par la variété de sa musique bien que le groupe adopte une ligne instrumentale relativement classique, guitare (électrique et acoustique), orgue, basse, batterie et quelques cordes sur Munich. Autre point qui les place hauts dans la hiérarchie des œuvres rock, bien que méconnues, le fait qu’il n’y ait aucune faute de goût à recenser sur l’ensemble des trente trois minutes et quelques que compte cet asile si peu effrayant. Aucun temps mort, pas plus que l’ombre d’une digression de trop même si trois des morceaux vont au-delà des standards de diffusion radiophonique. Maintenant qu’ont été balayées les premières remarques d’usage, place aux chansons ! Asylum, le morceau titre. Entrée en matière efficace, orgue roulant ses notes sur une rythmique acoustique, surlignée de tablas. Soit un canevas subtil d’éléments différents qui brouille habilement les pistes. Cressida n’est décidément pas un groupe de jazzeux.  Puis d’un coup, les musiciens surprennent avec Munich, immense pièce de résistance – tant dans la longueur que l’intensité –, qui aurait peut-être dû refermer cette face a. Auraient-ils brûlé leur dernière cartouche ? Non, bien sûr. Même si cette ode à la ville allemande scintille par son romantisme échevelé, magnifiquement enrobé dans un nuage de cordes, celle-ci son lot de rebondissements toujours passionnants, arrivant à durer sans lasser. Une telle maîtrise appartient généralement aux grands, mais qu’a fait Cressida, formation mineure, pour y parvenir ? On reste sans voix. Goodbye Post Office Tower Goodbye démarre avec nonchalance, guitare acoustique et basse énorme, la mélodie se promène ensuite jusqu’au refrain, tendu. Tour traversée par un pont parfaitement déroulé au piano, reprise du couplet et du refrain finissant sur un bruitage d’explosion guerrière, qui étonne de la part d’un groupe si courtois (musicalement il s’entend). S’en suit et c’est fort logique le thème nommé Survivor, plus épileptique, toutes trompettes dehors ! Face b, Reprieved prend les atours d’un interlude piano-bar, comme si les musiciens jouaient live dans un palace de Brighton. Cette respiration amène logiquement au deuxième temps fort de cet album, Lisa, qui, s’il est plus court que Munich n’en réserve pas moins des passages éclatants ; cette fin de première minute où la flûte relance un morceau qui avait débuté sur une tonalité dramatique. La suite n’est que succession de breaks, fabuleux de classe. Du bel ouvrage ! Summer Weekend Of A Lifetime retrouve les accents de la pop song made in Cressida, douce-amère, tendre, tranquillement psyché. Nous en arrivons au grand final, la plus longue des compositions qui n’en demeure pas moins claire, mélodiquement parlant, très accessible et c’est là la grande force du groupe. Let Them Come When They Will concentre toutes les qualités de Cressida : intimisme pop, arrangements majestueux, sens du cool, soli onctueux, attrayants, jamais taiseux pour deux sous. À chaque seconde, la musique trahit ce génie anglais, savant – mais nullement docte –, tout à la fois audacieux et classique, respectueux en somme de sa tradition musicale. En presque douze minutes, les musiciens abordent en conscience tout le spectre des émotions humaines passé au tamis des musiques populaires, avec finesse et violence, dans une inspiration de tous les instants. Et prouvent d’une manière magistrale leur talent immense, avec élégance donc. Dans le plus pur style anglais. Un stéréotype du genre pop, dont il aurait été sot de se passer.

Cressida, Asylum (Vertigo)

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https://www.youtube.com/watch?v=wa8V1e0U20g

 

 

 

 

 

 

 

 


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