Argus, grosse cotte

par Adehoum Arbane  le 22.02.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

La six cordes, une affaire d’hommes. De préférence virils, triturant les riffs comme on soulève les montagnes. En cette fin de seventies, alors que certains explorent le versant caché de leur féminité, la majorité s’adonne à un rock dur, tout à la fois heavy, mental, métal, hurlant. Sauf peut-être Wishbone Ash. Qu’ils soient anglais ne tient aucunement au hasard, tant leur musique se veut de la dentelle, assemblée pourtant à la pointe du médiator. Wishbone Ash n’appartient pas à la première division des groupes et artistes essentiels, cette poignée qui à elle seule a révolutionné le rock. Ils ne sont pas plus des one-hit wonder, non, cependant on peut aisément les classer dans une autre catégorie, et pas des moindres : les groupes ayant produit un album culte. Comme Sweet Smoke avec Just A Poke qui tourna mille fois sur les platines des babas européens, Argus, sorti le 28 avril 1972, jouit d’une réputation – frisant la dévotion –, et qui pour une fois s’avère amplement méritée. À quoi tient cette distinction doublée d’une passion réelle ?

À la musique bien sûr, cela va sans dire, mais également à la beauté des sept titres, sept merveilles d’un monde dépourvu de décibels, où les guitares sont reines sans avoir à s’époumoner. Déjà, tout est dit dès la pochette, dessinée par l’incontournable Storm Thorgerson du fameux studio Hipgnosis à qui l’on doit tous les visuels des albums de Pink Floyd et ceux de la plupart des grands groupes des seventies. Mais avec Wishbone Ash, il concentre la quintessence de son imaginaire qui donnera à Argus son aura, sa dimension rêveuse. Soit un chevalier de dos, enveloppé d’une cape pourpre et casqué, regardant lance levée un horizon auroral. Serions-nous au Gondor ou au Rohan ? Nul ne le sait vraiment mais cette iconographie médiévale annonce les splendeurs que recèle l’intérieur. Parlons-en, d’ailleurs. Naviguant entre rock énergique et mid-tempo féérique, précisons que la musique du groupe est constamment originale, jamais rébarbative. Le duo de guitaristes incarné par Andy Powell et Ted Turner fonctionne à merveille, prouvant à chaque note, à chaque solo leur dextérité sans tomber dans le piège de la démonstration prétentieuse. La voix de Martin Turner, secondée par les timbres de ses deux compagnons d’arme ajoute à la beauté des morceaux, sans parler de la section rythmique qui assure et ce, quel que soit le registre emprunté. Un orgue discret vient compléter l’édifice, uniquement sur Throw Down The Sword – le dernier et plus beau titre ? –, ce qui en dit long sur l’humilité des musiciens. Enfin et ce n’est pas un détail anodin, la plupart des chansons dépasse de loin le cadre de la pop song pour emmener l’auditeur dans une quête musicale et spirituelle, relativement inédite au vu de la production musicale contemporaine. Car Argus demeure inclassable, pas tout à fait folk, pas vraiment heavy, encore moins progressif alors qu’il pourrait presque cocher toutes ces cases. Ce qui frappe à l’écoute des chansons, au-delà de leur caractère épique, c’est bien leur imaginaire. Mot déjà employé qu’il convient de répéter. Comment avec les classiques instruments du rock ces musiciens sont-ils parvenus à créer de telles chansons ? Sans doute le songwriting explique-t-il simplement cette vérité, certes, mais il y a plus, ce sont les motifs délicats tissés par les guitares entremêlées au chant qui renvoient immédiatement à cette idée d’amour courtois fait musique, à ces mélodies que l’on qualifierait presque de préraphaélites. Cela commence avec les accords en forme de symphonie pastorale de Time Was qui migre alors vers un rock enthousiaste, à la fois flamboyant et raffiné. Sentiment qui se poursuit sur le magnifique et ondoyant Sometime World, chanté avec intensité, attendez la trente-septième seconde de la première minute pour vous en rendre compte, avant que le cœur des musiciens ne s’emballe. Plus tendu, The King Will Come n’en réserve pas moins ses moments de grâce, sur les couplets d’abord, puis sur le pont, tout en poudroiement sonore. Leaf & Stream arrive et le rock de Wishbone Ash touche au sublime, à l’ineffable. On pense au Simbelmynë, cette fleur gracile recouvrant la tombe du fils du roi Théoden. Warrior par sa teneur martiale prépare le terrain où le groupe livrera sa dernière bataille. Dès les premières mesures, on ressent presque de la lassitude, une forme d’ataraxie chez ces guerriers accomplis. Pourtant le groupe se met en place, poussé par la basse vaillante et la voix puissamment incarnée de Martin Turner. La poésie du texte a fait son œuvre, place maintenant aux chants des guitares, déchirées mais dignes, pleurant les morts comme les mots, jusqu’à la fin. On comprend pourquoi cet album, à l’argus des fans, a su trouver sa place. La première d’entre toutes.

Wishbone Ash, Argus (DECCA/MCA)

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https://www.youtube.com/watch?v=rH244IPXySE

 

 

 

 

 

 


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