Martin Circus, acte fondateur

par Adehoum Arbane  le 18.01.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

On réduit un peu trop vite Martin Circus au rock à nez rouge. Une réalité bien française en général – certes – mais qui cependant se limite à la période mainstream du groupe dont le point d’orgue demeure l’épouvantable pastiche de Barbara Ann, Marylène. À leurs débuts les Martin n’étaient pas des – Les – Charlots. Pas encore. Ils représentaient même l’un des premiers et plus beaux fleurons du rock hexagonal, tenté par l’aventure underground et dont les références – Soft Machine et surtout Zappa – définiraient les contours d’un style en vérité audacieux. Du moins en France. Car les américains furent des précurseurs en la matière. Avec les Mothers of Invention donc, mais aussi les Holy Modal Rounders, Fraternity of Men, The Godz, et les Fugs d’Ed Sanders, la patrie de l’oncle Sam, dès l’année 66, mit face à face avant-garde et rock avec la trinité, rébellion, fun, humour. Plus modestement, Martin Circus attendra trois ans pour faire de même, soit lâcher dans la nature ces fabuleuses clowneries – comme sur la pochette de Strange Days ou de The Clown Died In Marvin Gardens – qui cachaient surtout des compositions exigeantes sur un plan musical sans émousser leur potentiel de séduction. En témoigne ce premier essai enregistré live, le si bien nommé En direct du Rock’n’roll Circus. Cette salle avait coutume en cette fin de sixties de proposer la crème de la future scène pop, Triangle, Magma et les Martin donc. C’est autour du noyau constitué de Bob Brault à la basse et de Gérard Pisani aux cuivres que Martin Circus vit sa première incarnation. C’est ce line-up qui jouera dans ce club minuscule, entouré d’une foule compacte, les douze titres, matrices du futur Acte II. On y retrouve – déjà l’humour – mais aussi et surtout des compositions pénétrantes, étonnement complexes tout en restant immédiates. Comme par magie – celle du matin des magiciens – les textes font mouche, passant à merveille l’épreuve du français qui aurait pu donner raison à Lennon quand il affirmait, un brin narquois : « du rock français ? Pourquoi pas du vin anglais ! » Ainsi, de Moi J'ai Fait La Guerre à Nos Larmes Tombaient en passant par Tout Tremblant De Fièvre, Le Matin Des Magiciens (La Magie Des Martin), À Quoi Sert Ma Prière, le charme opère, évident, le groupe assurant un set remarquable de cohésion et d’assurance. Pas une fausse note ne vient troubler le récit de cette musique qui s’ouvre et se referme comme un album concept. Les morceaux les plus « décalés » n’en sont pas moins forts. Barbe-Bleue, d’une redoutable vélocité, eut même l’honneur d’être édité en single. Quant à Moi Je Lis Les Bandes Dessinées, il démarre judicieusement sur le riff de Pleasant Valley Sunday des Monkees pour migrer vers un rock extravagant, psyché – « Le comte de Champignac cultive des champignons d’une drôle de couleur/qu’est-ce que c’est ?/Caché derrière les murs d’un château de saindoux/Je lis les aventures de Tintin & Milou. » Comme si les Martin assumaient leur langue au point d’en faire le vecteur de leur propre fantaisie. C’est cette marque de fabrique qu’on redécouvrira l’année d’après dans leur chef-d’œuvre Je M’éclate Au Sénégal. Pour le reste, seuls Tomahawk et Troïka – un instrumental trop indolent, trop étiré pour survivre au reste du Lp – dénotent légèrement, sans pour autant faire tâche. Dernière remarque enfin, la qualité de l’enregistrement et plus précisément du jeu, révélant des musiciens très au-dessus de la moyenne en train d’exécuter une partition d’une façon quasi télépathique, devant un public qui semble – à l’écoute de ses réactions avant, pendant et après – définitivement conquis ! Virtuosité redoublée grâce aux interventions de Pisani, enchaînant sax, bugle et flûte, instrument prisé depuis le succès de Jethro Tull. Ainsi va la pop de Martin Circus, tambour battant ! À la fois naturaliste et fantasque, passant du Douanier Rousseau à Dali sans rien perdre de sa puissance ni de sa légitimité. Malheureusement ou heureusement, c’est la difficile loi de la vie, le groupe se sépare après la sortie du disque en 1970 pour se réincarner autour du duo Brault/Pisani, complété de musiciens toujours plus chevronnés et d’un chanteur au phrasé plus direct, Gérard Blanc, qui propulsera le groupe vers le sommet et les charts. Un chapitre s’achevait, palpitant, tourbillonnant, plein d’avenir, un acte second allait débuter en studio et cette fois-ci sur deux disques. Le temps d’ajouter à nouveau à leur répertoire classiques instantanés et chevauchées fantastiques. Mais ceci est une autre histoire, et un pied de nez de clown aux idées reçues.

Martin Circus, En direct du Rock’n’Roll Circus (Pop Music)

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https://www.youtube.com/watch?v=CyVH0Qx52wo

 

 

 

 

 

 


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