Courtney, acide Barnett

par Adehoum Arbane  le 09.11.2015  dans la catégorie A new disque in town

La pop au féminin relève du concept en soi, le plus souvent défini par des mélodies trop suaves pour être honnêtes et une certaine manière de chanter en feulements et autres ouh ouh yeah crispants. Tout le contraire de Courtney Barnett, rockeuse australienne qui a sorti en début d’année son très remarqué premier album – Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit – sur lequel elle prend des allures de Lou Reed ronchon, pourtant habile dans l’art de trousser des histoires ornementées de riffs sales et tranchants. Avec sa bouille de girl next door sympatoche, Courtney Barnett trompe si bien son petit monde que ses chansons se sont très vite imposées dans nos esprits par leur capacité à émerger tout en empruntant des codes bien établis. Ainsi, Small Poppies se décline sur sept minutes, blues aussi bien trempé que la lame du samouraï et que n’aurait pas renié un Willie Dixon ou un Howlin’ Wolf s’il avait toujours été des nôtres. Tour à tour élégants – le swing de l’intro – et violents – la dissonance du solo –, Les petits coquelicots se hument longuement, plusieurs fois par jour, partout où l’instinct nous guide. Sur platine laser, tourne-disque ou playlist en vadrouille. Le reste est bien entendu à l’avenant, que les chansons évoluent selon les humeurs de leur génitrice. Vénères et urgentes sur Elevator Operator ou encore Pedestrian at Best, cools sur le presque country Depreston, badines et guillerettes sur le quasi psyché Dead Fox conjuguant à nouveau le spoken word qu’affectionne tant Courtney et qui la distingue du cortège des Pleureuses, si peu égyptiennes. Cette attitude Fifi brin d’acier n’aurait été qu’une posture si l’artiste n’avait le don de l’écriture, ma foi, disons une certaine sensibilité pour, non pas renouveler ou même reproduire, mais revitaliser ce bon vieux rock’n’roll, qui plus est souvent laissé entre les grosses pattes velues de ces messieurs. Courtney le leur a arraché pour le garder précieusement contre elle, l’écouter, le disséquer et le resituer en couplets efficaces et refrains imparables. Écoutez donc Nobody Really Cares If You Don't Go to the Party, réécoutez-la pour vous en convaincre si cela n’était déjà fait. Ce petit bout d’électricité de deux minutes quarante sept secondes sonne à merveille, charme aussitôt par ses accents intrépides, son texte rigolo mais finalement bien senti. Sans rien perdre de son toupet, la musicienne balance une pop song relativement sixties – l’orgue –, Debbie Downer qui se paye le luxe de chœurs cathédrales du meilleur effet. Et pourtant, malgré l’effet de manche, c’est toujours du Courtney Barnett que l’on entend, irrésistible et sautillant. Tradition oblige et connaissant sur le bout des doigts son catéchisme rock, elle ne déroge pas à la règle des fins d’album qui veut que l’on place des titres plus atmosphériques, voire plus ouverts. Avec sa lenteur hiératique autant qu’inquiétante, Kim’s Caravan surprend l’auditeur qui voit alors derrière la fringante jeune fille une sorte de Chris Isaak lorsqu’il lâche, impérial, un Wicked Game resté depuis dans toutes les mémoires. À la différence que Barnett oublie les ambiances aériennes du début pour leur préférer, en épilogue, des explosions chorales, voix et guitare à la suite. La chanson atteint alors un sommet pour retrouver dans ses dernières secondes le thème principal, vicieux et séducteur. Après tant d’émotions, Boxing Day Blues délaisse les motifs abrasifs pour se consoler avec une guitare acoustique et quelques accords électriques lointains en écho. Conclusion apaisante, prouvant à quel point notre musicienne en a sous le pied. Si vous aviez voulu classer Courtney Barnett dans la catégorie "sois belle & tais-toi", c’est loupé. Courtney est une future grande dame de la musique, libre et indomptable, toute à la fois Joni Mitchell, Carole King, Carly Simon, Rita Coolidge réunies. Soit la crème du songwriting angélique en puissance. À cent mille lieux des bataillons de Beyoncé, des escadrilles de Rihanna, des rangs serrés-culs déployés de Nicki Minaj. C’est le triomphe de l’intelligence sur la vulgarité et le renvoi dans les cordes de la sentence qui fleurit aujourd’hui dans les esprits ainsi que dans la presse la plus zélée : il serait donc, excusez du peu, honni de critiquer les ambassadrices des cultures dites "urbaines", terme faussement précis qui ne signifie rien d’autre… Que ce qu’incarne le rock depuis maintenant six décennies. Courtney Barnett, forte de son Pedestrian at Best, s’en gausse encore.

Courtney Barnett, Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit (Marathon Artists –PIAS)

sometimes-i-sit-FRONT.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=o-nr1nNC3ds

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top