Thriller, n’ayons plus peur

par Adehoum Arbane  le 15.09.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Pour cette chronique, le je est obligatoire. Trop de raisons, de vérités, de souvenirs aussi m’obligent ainsi à me dévoiler. Longtemps j’ai considéré Thriller de Michael Jackson comme le sommet du mauvais goût absolu. Comme le pire représentant de la culture mainstream. La question n’est pas de me désavouer aujourd’hui, pire de faire acte de contrition. Je continue de garder mes distances avec le mythe, pas tant pour l’aspect le plus sordide de sa dernière décennie d’existence. J’avoue n’éprouver aucune attirance pour la période post Thriller, à savoir Bad et Dangerous pourtant riches en méga tubes. Pas plus passionné par Off The Wall qui malgré tout pose les premiers pavés de la voie royale qui mènera à Thriller et dont la collaboration avec Quincy Jones est la pierre angulaire. Concentrons-nous objectivement sur le cas Thriller. Car il s’agit objectivement d’un classique, le meilleur, allez n’ayons pas peur du mot, le chef-d’œuvre du King de la pop. Je n’aime pas l’expression mais le génie de Michael Jackson – qui a, pardonnez la boutade, toujours eu du nez – au-delà du minutieux travail d’écriture, de production et d’enregistrement – je passe sur la dimension visuelle et virale, ici fondamentale – tient dans le fait d’avoir réussi à fondre le creuset de sa propre culture dans l’universalité pop. Qu’elle en est l’obscur motif ? Je ne sais pas si l’image est juste, mais la musique de Jackson s’avère profondément féminine. Rien à voir de prime à bord avec le physique du jeune performer-songwriter même s’il nourrit le trouble. Voir à ce propos la pochette qui passe du raffinement à la plus sauvage animalité, comme cette main aux veines tendues retenant les griffes d’un bébé tigre à l’intérieur. Certes le visage de Michael s’est métamorphosé, lissé avec le temps, inutile de s’appesantir d’ailleurs sur les événements qui ont conduit à cette transformation inéluctable. Contrairement à Jagger ou Bowie, sa sexualité reste de plus un mystère intégral et dieu sait que le rock à avoir avec le sexe. Mais là n’est pas l’essentiel. Sa voix et les "effets" qui sont restés légendaires – ces petits cris de rut parfois exaspérants – expliquent en partie cette affirmation. Mais c’est surtout le pont que le musicien jette entre musiques noire et blanche qui s’avère fondamental pour comprendre l’importance de Thriller dans l’histoire de la pop. Il aura suffi de neuf chansons – au passage toutes d’égale qualité – pour changer le monde, pour passer des années 70 mourantes – et décadentes – aux eighties fraîches et naissantes. Au règne de MTV qui doit beaucoup, voire tout à MJ. Quand on se plonge – excusez-moi de passer du je au on mais la chronique peut reprendre un cours normal – dans les titres, on observe deux choses, assez remarquables. Un, rien n’est à jeter, de Wanna Be Startin' Somethin' à l’efficacité vaudou – la voix de Michael doublée sur le riff de basse en intro – au final doucereux de The Lady in My Life, chaque morceau est une apogée. Deuxième point, les collaborations. D’abord Quincy Jones. Homme orchestre du jazz au répertoire classieux – ah la période Impulse et le magnifique Quintessence – qui apportera au jeune Jackson, tel l’imperator, son immense savoir-faire. Sous son patronage, Thriller apparaît comme une jungle, un enfer de production. Mille idées à la seconde ! Deuxième contributeur, Paul McCartney qui co-interprète le sémillant The Girl Is Mine. Au-delà de l’idée même de casting, il y a surtout cette capacité à réunir deux anciens autour de son nom, certes connu du grand public grâce aux Jackson Five mais qui n’a pas encore achevé sa mue stylistique. Le ticket Quincy McCartney sera d’emblée gagnant. Pour compléter son équipe – en vérité un banc de requins de studio – et partir à la conquête du dernier bastion dressé, le rock des kids de l’Amérique WASP, Jackson enrôle Eddie Van Halen qui réarrange Beat It et signe le solo de guitare, épique, métal, bref, aux antipodes de l’esthétique originelle. Thriller, à la croisée de tous les genres. Il ne faudrait pas passer sous silence la réelle qualité des morceaux, même si Michael n’en est pas le compositeur – il en a d’ailleurs écrit quatre sur neuf. Hormis le morceau titre signé Rod Temperton –, on lui doit malgré tout les chansons les plus transversales, Wanna Be Startin’ Somethin’ donc, le vindicatif Beat It, The Girl Is Mine et bien évidemment la ballade ultime, pièce maîtresse entre toutes, j’ai prénommé Billie Jean. En un disque Michael Jackson fait oublier son passé d’enfant prodige vaguement manipulé par un père tyrannique et devient l’empereur des charts. 65 millions d’albums vendus dans le monde, le plus gros carton de tous les temps. Au-delà des exploits chiffrés, Michael Jackson devient cet antique héro moderne dont la pause altière et hellénique – sexy en diable – couchée sur vinyle, costume blanc cintré sur chemise de soie noire, mèche rebelle mais travaillée, le tout cerné de ténèbres duveteuses et auréolé d’or typographié aura sans le savoir suscité des vocations. À en juger par l’artwork de leur dernier Lp, les deux crétins casqués de Daft Punk en font partie. La vie est un éternel recommencement et le rock en fait partie intégrante. À la différence que Michael Jackson et Thriller en furent les prémices.

Michael Jackson, Thriller (Epic)

Michael_Jackson_-_Thriller.png

https://www.youtube.com/watch?v=iouqAxt2wJY&list=PL9DA0D195E640705D

 

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top