Seeds errants

par Adehoum Arbane  le 10.08.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Les virages, lorsqu’ils sont bien négociés, ne sont point mortels. Tout juste la machine accroche-t-elle un peu le bitume, arrachant à cette masse lisse, dure et saumâtre, quelques postillons de caillasses. Jadis Héraults du proto punk en mode acide, les Seeds ont emprunté cette chicane pourtant fatale. Passés en deux années de l’alpha du rock binaire, lacéré de farfisa, à un oméga pop couturé de clavecin, hautbois et autres harpe fantasmagorique, ils ont survécu livrant ainsi leur ultime chef-d’œuvre, chef-d’œuvre ultime, au titre sobre et prometteur : Future. En recyclant des recettes déjà vieilles. Voilà où réside leur génie. En vérité, leur style toxique vient perturber cette pop music en vigueur inventée tout de go par leurs voisins Beatles. Les Seeds se situent donc aux antipodes, et pas seulement au sens géographique du terme. Les premières mesures quasi grotesques de Future résonnent aux sons d’une marche lugubre et baroque, de celles qui font froid dans le dos. Ils errent dans les landes du psychédélisme tels des zombies en bottines et taffetas, tels des spectres, des goules aux visages sévères casqués de chevelures opalescentes, raides comme des morts. Future ne sera pourtant pas une promesse d’avenir. Les Seeds finiront l’année d’après dans la tourbe d’un blues adipeux, dépossédé de leur moelle garage et lysergique. Revenons à Future, retournons-y à grands pas, avec appétit ! La variété des instruments, hallebardes modernes, fait dorénavant partie de la panoplie des quatre musiciens représentés en illustré naïf sur la pochette puzzle où la pièce manquante figure cette métaphorique idée de la case en moins. Soldatesque magnifique au service d’une musique moins simpliste qu’il n’y paraît. Seule la typographie, tout en équilibre, illustre la transition entre les fondamentaux basiques de leur musique – rythmique et accords répétitifs – et les dernières options chamarrées qu’ils déploient dans leur nouveau matériel. Pour arriver à ce climax, les Seeds n’ont rien trahi, ni bradé leur esprit. Ce sont toujours de dangereux rockeurs en liberté surveillée – ? –, des petites frappes californiennes agaçant autant qu’ils fascinent désormais. Par leur approche lapidaire, ces punks échappés de leur garage sont de fait les parents riches du Krautrock. Ce qui trouble dans Future, c’est la cohérence qu’ils arrivent à faire surgir malgré les multiples ingrédients rajoutés à leur sauce si piquante. Chez d’autres, la soupe aurait été littéralement imbuvable. Chez eux la potion fonctionne produisant ses effets primaires certes, puis merveilleusement secondaires. C’est qu’ils arrivent à pousser très loin la logique de leurs refrains maintes fois entendus. D’abord dans Travel With Mind, sorte de pléonasme temporel. Souvenez-vous de l’Electric music for the mind and body. Puis avec Flower Lady and Her Assistant, chanson à la limite du macabre, prise dans les filets d’une quatrième dimension poisseuse. Une harpe ensorcelante y dessine des rideaux qui perpétuellement se lèvent sur la même scène, horrifique en diable ! Ainsi va le psychédélisme US, plus vertical, serré, que celui des anglais. Et c’est dans cette verticalité qui est un chemin idéal pour la drogue que l’extase progresse, monte puis du tremplin de l’esprit saute dans le vaste inconnu. Six Dreams et Fallin’ accomplissent les noirs desseins de ces mauvaises graines dont les thèmes – ne parlons plus de chansons – s’immiscent dans l’intimité de votre conscience. Future partage en cela la même philosophie que Their Satanic Majesties Request des Stones. Mais avec la radicalité des Seeds et la voix d’opiacé de Sky Saxon. Fallin’ ! Le mot tombe juste. Il ouvre la voie que Iron Butterfly n’a pas encore débroussaillée avec In-A Gadda-Da-Vida. Fallin’, cet enfer sonore, tout à la fois majestueux et confus, comme battu par tous les vents de la folie, tempête d’orchestration luciférienne qui réussit la gageure de tordre l’écriture monomaniaque des Seeds. Sous les apparats et les ors de Future revient comme une douleur lancinante la trame de morceaux aussi brefs que légendaires : Pushin Too Hard, No Escape, Can’t Seem To Make You Mine, Evil Hoodoo ou Mr. Farmer. Out Of Question ou encore Two Fingers Pointing On You rejouent inlassablement les mêmes boucles, préfigurant de vingt ans l’électro, avec certes quelques variantes heureuses. Le morceau le plus improbable, le plus éloigné de l’axiome Seeds, est à n’en pas douter Painted Doll, grande chanson de soul arrangée comme une meneuse de revue. Future poursuit ainsi l’œuvre de A Web Of Sound mais en délaissant l’extrême minéralité de chansons comme Pictures and Designs pour glisser vers les bourdons assourdissants de l’expérience psychédélique. Loin du Flower Power que laissait présager l’artwork. Loin de l’apparente candeur de leurs premiers enregistrements. Loin, très loin devant les autres. Pouvait-on espérer autre chose de la part de ces quatre tripmakers ? 

The Seeds, Future (GNP)

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https://www.youtube.com/watch?v=fkm0OLp2OTU

 

 

 

 

 


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