The National Gallery, visite guindée

par Adehoum Arbane  le 20.07.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Bien avant le télescopage sidérant entre jazz et rock inauguré par Miles Davis sur Miles In The Sky, la rencontre entre ces deux genres que tout semblait opposer fut actée par le trompettiste Charles Frank « Chuck » Mangione. Sobrement intitulée The National Gallery Performing Musical Interpretations Of The Paintings Of Paul Klee, l’œuvre qu’il a en partie composée fait partie de ces projets fous, estampillés "album de producteurs" et qui trop souvent déçoivent par l’arrivisme de leur démarche et la piètre qualité de la musique proposée. Non pas que nous tenions entre nos mains chanceuses le Graal absolu en matière de pop ou que les créateurs se cachant derrière le projet The National Gallery soient les nouveaux Lennon-McCartney. Non bien sûr. Soyons sérieux. Mais l’œuvre en question présente cependant suffisamment d’arguments pour être prise au sérieux. Ils sont au nombre de deux. Un, la lignée de Chuck Mangione, trompettiste de jazz et arrangeur qui insuffle à ses compositions – le songwriter c’est lui – un charme certain, une aura irréelle. Roger Karshner s’occupe de leur donner un écrin à leur hauteur. Mélange habile et suave de pop, de jazz et de psychédélisme irradiant, les dix compositions, si elles ne brillent pas toutes du même éclat, fascinent d’emblée ! D’une durée relativement courte eu égard aux standards de l’époque, celles-ci baignent dans un halo de magie et de féérie dont l’interprétation – et l’équilibre diaphane – est tout de même assurée par des requins de studio !!! L’alchimie née voit ce petit groupe hétéroclite – formé pour l’occasion, donc – littéralement touché par la grâce. De leurs mains de dieux, Mangione et Karshner ont façonné ces choses à la fois délicates et  percutantes que sont pour l’éternité Diana In The Autumn Wind, Boy With Toys ou Long Hair Soulful pour ne citer que ces chansons. Sans sombrer dans la facilité ou oser le gigantisme – l’idée de trop – nos deux têtes pensantes ont sculpté des mélodies minérales, sublimes dans leur marbre immaculé qui ne vous laissent jamais en pareil état. La conjonction des connaissances, la maitrise instrumentale et la transversalité de la démarche ont permis d’associer les guitares incisives et ondoyantes de Self Portrait aux orgues cabaret façon Doors période Moonlight Drive, comme sur le pénétrant Long Hair Soulful refermant ce trop court Lp. Quant à Diana In The Autumn Wind, on se croirait dans je ne sais quel rêve médiéval dépeint, non par Paul Klee, mais par un préraphaélite anglais. Même l’ouverture un brin too much de Barbaric, Classical, Solemn et son chœur faussement baroque finit par séduire l’auditeur. S’ils ont toujours la suavité de la pop et l’élasticité du jazz à l’esprit, nos créateurs n’en demeurent pas moins audacieux quand ils ajoutent à leurs ballades limpides des titres efficaces comme Boys With Toys – qui aurait pu être un tube ! – et d’autres, surréalistes en diable comme le très british Fear Of Becoming Double. Troublé par tant de beautés flashantes, on en aurait presque oublié le concept sous-jacent, la vie de Paul Klee : le titre Self Portrait dont le texte rédigé au dos du vinyle d’origine y faisant partiellement référence. Seul petit moment de faiblesse, ventre mou de ce disque éblouissant comme une aurore, les trois titre de la face b, A Child’s Game, A Negro Child Does Not Understand The Snow et Fear Behind The Curtain. A Child’s Game s’en détache par sa structure plus directe au refrain rehaussé de voix angéliques. Pour le reste, nous avons affaire à ce genre de miracle qui vous fait louer le ciel d’avoir déniché chez un disquaire obscur de Greenwich Village ou sur une brocante éphémère de Shoreditch ce fruit du hasard et du génie humain. On n’éprouve un unique regret : que le duo si inspiré n’est pas démenti leur morceau Fear Of Becoming Double en donnant une suite à cet opus imparfait mais réellement brillant. Tel fut le lot de nombreux artistes qui, en ces années soixante fécondes, eurent la chance d’être signés par un grand label le temps d’un unique album, devenu avec les années objet de culte convoité. Certains furent à leur corps défendant relégué en ixième division. The National Gallery en fait hélas partie. Évidemment. L’histoire des compositeurs ne s’arrête pas là et si l’on en croit les quelques éléments de biographie glanés ça et là, Mangione et Karshner auraient encore produit des disques –ensemble ou en solitaire – mais rien n’est moins sûr. Quant à Paul Klee, le célèbre peintre allemand s’en est retourné à ses musées, loin de cette National Gallery version pop.

The National Gallery Performing Musical Interpretations Of The Paintings Of Paul Klee (Philips)

Front Cover copy.jpg

http://www.youtube.com/watch?v=Sg3CtMHjZTw

 

 

 

 


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