Tame Impala, à contre Currents

par Adehoum Arbane  le 13.07.2015  dans la catégorie A new disque in town

Et si l’épicentre de la créativité pop s’était déplacé ? Alors que Londres ne semble plus être la capitale de la fantaisie et de l’énergie rock, que les évolutions états-uniennes ne concernent qu’un petit bataillon de groupes, c’est en Australie qu’il faut aller dénicher le nom qui agite depuis cinq ans les cercles de la critique. Tame Impala, car c’est bien de lui dont nous parlons aujourd’hui, est à l’origine de l’une des plus passionnantes sagas comme seul le rock sait les imaginer depuis ses toutes premières années. Alors que le psychédélisme, mouvance pourtant vivace, bat de l’aile, engoncé dans un conformisme policé doublé d’une relecture trop studieuse pour l’emporter, Kevin Parker a décidé d’en réécrire les fondations pour mieux le déconstruire ensuite. Objectif avoué, pas tant la survie du Musicien – pourtant une nécessité – dans un monde qui ne cesse d’avancer mais surtout le désir de porter cette musique, par essence libre, vers des sommets inégalés. Le paradoxe tient dans le fait que le jeune prodige use de codes mainstream, parti-pris assumé ici jusqu’au bout. Par mainstream il ne faut pas entendre facilité mais plutôt universalité. Quoiqu’aventureuse, la musique de Parker n’en est pas moins accessible, immédiate. Séduisante. Currents réussit le tour de force d’être solaire – pour ne pas dire estival – sans jamais rompre la mystique qu’il installe progressivement. Dans son ensemble, il rappelle l’une des scènes de More, signé Barbet Schroeder, durant laquelle Stefan et Estelle jouent avec un liquide dans une vasque qui prend alors, sous les feux de midi, des couleurs argentées, aux sons languides de Quicksilver de Pink Floyd. De retour en 2015, les chansons de Parker semblent baigner dans le même océan céruléen, chauffer à blanc par je ne sais quel Hélios méditerranéen. Comme si chacune d’entre elles vibrait à l’image d’un magma en fusion, d’une lave protéiforme. La pochette bien sûr renvoie directement à cet imaginaire que les visions d’un voyage en Acidland démultiplient à l’infini. La seule différence tient dans l’aspect rassurant d’une musique, inondée de cool, s’éloignant des bad trips soniques d’obscurs combos comme le C.A. Quintet, Fifty Foot Hose ou les Maze de San Francisco. À l’exception du dernier titre, New Person, Same Old Mistakes et de l’inquiétant Past Life à la voix robotique faisant instantanément songer, en un flash drogué, à celle de Aegian Sea des Aphrodite’s Child sur 666, les mélodies moelleuses nous emportent au Paradis de la pop où Lennon discute avec Micheal « Bambi » Jackson. Le pont entre groove black et psychédélisme blanc n’est d’ailleurs pas anodin. Kevin Parker n’a jamais caché sa fascination pour Todd Rundgren et A Wizard, A True Star dont il a repris récemment International Feel. Le maître avait d’ailleurs naguère remixé Elephant. Il y a chez ces deux musiciens, éloignés par les âges, la proximité conceptuelle, celle qui pousse à écrire de bonnes chansons et à leur donner l’écrin parfait. S’agissant de Todd comme de Kevin, l’ambition passe par un contrôle absolu, quitte à n’envisager le groupe que comme un simple outil de réalisation, non comme une entité autonome. Au-delà des références qui emprisonnent, on reste fasciné par le son Tame Impala. Alors qu’il emprunte des voies déjà ouvertes – les synthés eighties, les bidouillages tels qu’on les pratiquait durant les électroniques nineties –, Parker semble à l’aise au point de digérer ces divers éléments dans son studio pour en extraire une substantifique moelle qui pourrait représenter l’avenir du rock. Ce qui ne l’empêche pas de recycler ses basses sixties, quelques touches de clavecin ou des claviers typiques des années soixante-dix, comme le discret Fender sur The Less I Know The Better. Ce qui l’autorise également à revenir avec un album de "ballades". Le premier extrait du graal tan attendu, le mirifique Let It Happen, avait à ce propos magnifiquement brouillé les pistes. Proposition audacieuse où l’artiste, au chant séraphique, s’abandonne à son art, heurtant au passage d’incroyables Florides. C’était sans avoir encore abordé la question, toute aussi cruciale, des mots tant la musique prédomine. Le nouveau crédo de Kevin Parker trouve son plus cinglant résumé dans les paroles rudimentaires mais trempées dans le grand bain de la vérité qui voit l’artiste se déshabiller, spirituellement parlant, et dire dès les premières secondes de sa quatrième chanson : « yes, i’m changing ». Sans le savoir, nous lui avons déjà emboité le pas.

Tame Impala, Currents (Modular Recordings)

Currents-hi-res.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=nfmJilbZCas

 

 

 

 


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