Steven Wilson, cette main est une claque

par Adehoum Arbane  le 29.06.2015  dans la catégorie A new disque in town

Une morne plaine aux étendues linéales. Voilà à quoi ressemble la musique pop en 2015. À force de trop vouloir incarner l’idée de modernité, la production actuelle s’est littéralement desséchée. Hormis quelques exemples pourtant signifiants, le constat semble accablant. Fils spirituel du rock progressif des seventies anglaises, leader de Porcupine Tree, Steven Wilson a décidé de renverser la table. Et d’insuffler à cette pop parfois aseptisée un souffle de liberté. Oh, il ne s’est jamais vraiment éloigné de ses fondamentaux. Mais il y a quelque chose de gentiment anachronique à écouter Hand Cannot Erase aujourd’hui, de se laisser aller au plaisir coupable consistant à mimer des soli de guitare, de flûte et de mellotron épanchés sur plus de dix minutes. Au-delà de l’exercice de style que le musicien semble en tout point maîtriser, il y aussi l’idée de concevoir une musique nourrie certes d’influences – on pense à Yes, à King Crimson circa 73 – mais avant tout pétrie de recherche et d’expérimentations, bien que celle-ci soit – lorsque l’on s’y plonge – écrite dans les moindres détails. L’esprit du prog, c’est de tout oser, quitte à friser le mauvais goût ou tout du moins céder aux sirènes d’un lyrisme que l’on avait remisé un peu trop vite par devers soi. Si ce nouvel album a parfois tendance à dériver sur les océans du hardcore, comme sur le diptyque Ancestral-Happy Returns, il ne ménage jamais l’auditeur. Surtout, il l’invite à un voyage, imparfait mais réellement audacieux. À ce propos, on pourrait reprocher à Steven Wilson de verser dans le sous Radiohead – notamment dans les beats électroniques de Perfect Life – mais il fait d’une limite une force : à contrario de ses homologues bêtement adulés, Wilson assume pleinement la dimension progressive. Chaque instrument s’y déploie avec générosité, exprimant toute la gamme de ses sentiments, de ses couleurs sans jamais lasser ou pire, laisser de marbre. Au contraire, on se surprend à épier un break caché derrière une ligne mélodique, à espérer une explosion de basse après des arpèges de guitare ou des feulements de flûte. Point intéressant à ce stade de l’écoute – et de l’analyse –, cette habile propension à glisser entre les plages atmosphériques des morceaux plus concis, au phrasé très pop comme sur Perfect Life, donc, ou sur le morceau titre. Il y a des moments où le musicien arrive à sonner à la manière de Crosby, Stills, Nash & Young – 3 Years Old et Transience – sans jamais perdre le fil d’Ariane de sa mystique. Derrière l’académisme qui guette, point toujours l’émotion sourde, retenue. Une flamme ténue, fragile qui parfois se transforme en magnifique embrasement auditif où les synthés se mêlent aux basses qui s’enroulent autour des guitares dans un maelstrom épais de trouble confus. Tout cela en 2015, à une époque où les poseurs et les modeux triomphent, où une certaine idée de la culture musicale se perd, pour ne pas dire la musicalité elle-même. Comme si écrire pareils morceaux – des blocs de sons donc – paraissait désuet, réactionnaire. Et pourtant, l’entreprise de Steven Wilson se veut moderniste, pas une simple relecture d’un idiome arraché au passé que d’aucuns se plaisent à moquer. La musique est là pour le prouver. La pochette elle aussi se veut le relais visuel, le vecteur chromatique d’une inspiration étonnement en accord avec son temps. Toute à la fois contemporaine au sens conceptuel du terme, intelligente et laborieuse dans sa patiente édification aux motifs multiples et proprement étourdissants. Wilson ne sera sans doute pas suivi dans la voie qu’il ouvre ou qu’il continue d’ouvrir depuis ses premiers essais jusqu’au désormais classique The Raven That Refused To Sing (and other stories), sorti deux ans auparavant. On le boudera, jusque dans les tribunes. Il n’aura pas les honneurs des gazettes ni des ondes. Aucun prescripteur ne se risquera à en faire l’éloge. Nul jeune pour danser dans une syncope amorphe, répétitive et droguée – les deux vont souvent de paires – jusqu’au petit jour rose sur des titres aussi grandioses que Luminol, The Watchmaker puis Routine, Home Invasion ou Regret#9. Qu’importe si la musique ne s’arrête jamais, tel le dernier rayon de soleil au coin du jour, de briller intensément.  

Steven Wilson, Hand. Cannot. Erase (Kscope)

R-6678914-1433868170-5145.jpeg.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=xy71Vvah7fM

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top