Les Beatles sont morts, vive les autres

par Adehoum Arbane  le 15.06.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Le 20 septembre 1969, ô cataclysme, Lennon annonce son départ des Beatles, six jours avant la sortie d’Abbey Road. Le 10 avril 1970, c’est au tour de McCartney de jeter l’éponge. Les Beatles ne sont plus. Ce traumatisme vécu par la communauté des fans se doit d’être replacé dans un contexte plus large de cynisme et d’horreurs ; enlisement des troupes américaines au Vietnam, guerre au Biafra, parfum de scandale politique dont les fumets feront tomber quatre ans plus tard la présidence Nixon. La dislocation du plus célèbre groupe de pop que l’Angleterre n'ait jamais connu aurait pu tétaniser la nouvelle génération de groupes. Non seulement celle-ci va se relever, mieux encore, elle va surtout se révéler. De part et d’autre de l’Atlantique souffle un vent d’euphorie créative. En Grande-Bretagne, l’ambitieuse face B d’Abbey Road fait des émules. 10cc, Electric Light Orchestra mais aussi Roxy Music dont le rock débridé, à la fois nerveux, sexy et élégant montre à quel point la Perfide Albion se situe, sur la géographie du rock, à l’avant-garde de toutes les révolutions. Mêlant clarinette fluette, saxo désaxé et synthés futuristes, le quintet invente une sorte de variété pop acculturée, symphonico-jazzy lamée de glam rock opératique. La voix de Brian Ferry – sorte de mélange entre Sinatra et Gene Vincent – y fait merveille. Des titres comme Virginia Plains bien sûr, mais encore, disons The Bogus Man et Music Psalm tous deux sortis en 73, Three and Nine sur Country Life, Love Is The Drug paru l’année d’après sont révélateurs du niveau auquel le groupe s’est hissé. Bonne nouvelle, il n’est pas le seul. Comme si cela ne suffisait d’avoir perdu en route le mythe beatlesien, la descendance se lâche littéralement. Quitte à prendre des risques. La folie règne ainsi sur ces années que le rock critique considère aujourd’hui comme bénies. À des milliers de kilomètres de Londres, NYC. Steely Dan incarne sans doute la quintessence de la fusion entre rock et jazz, d’autant que ses deux têtes pensantes, Donald Fagen et Walter Becker, connaissent leur grammaire pop sur le bout de leurs vingt doigts. Après deux albums très convaincants, Pretzel Logic synthétise en cette année 74 toutes les influences en onze titres, trente-sept minutes nanties de quarante neufs précieuses secondes. Formidablement bien écrites, magnifiquement jouées, produites au cordeau avec un goût certain, ces chansons brillent par leur inventivité sans jamais sombrer dans l’exercice de style fastidieux, alors que le duo – faut-il le préciser –enregistre avec la crème des musiciens de studio américains. Formidable entrée en matière, Rikki Don’t Lose That Number est le chêne rouge qui cache la forêt de classiques indémodables. Night By Night, Any Major Dude Will Tell You, Barrytown, Pretzel Logic, With A Gun ou Monkey In Your Soul pour ne citer qu’eux scintillent au firmament de la pop la plus éclectique. La même année, sur la côte Pacifique, en Californie, plus précisément à Los Angeles, les frères Ron et Russell Mael ont décidé de s’amuser en bidouillant la pop des origines à grand renfort de bizarreries et autres options frisant le mauvais goût. Sparks sera leur patronyme pour l’éternité. D’inspiration anglophile, ce dernier donnera le ton et le la de ses créations musicales. Son troisième et meilleur opus, Kimono My House – enregistré en Angleterre avec des musiciens locaux dont Muff Winwood à la production –, possède son lot de pop songs géniales et délirantes. Tout est bon, voire jouissif, dans ce disque à la pochette flashante, maquillée, déjantée. This Town Ain't Be Enough for Both of Us, Amateur Hour, Here In Heaven, Thank God It's Not Christmas, Hasta Maсana Monsieur ou Talent Is an Asset doivent autant aux dons d’écriture des deux frères qu’à la voix de Ron, partant sans cesse dans les aigues, sans même évoquer les idées farfelues que Russell tire de son cerveau et – par extension – de ses claviers. L’album fera d’ailleurs date. Cependant, cette joyeuse insouciance éclipse une toute autre réalité, pas tant celle évoquée plus haut, déjà glaçante. Au-delà des conflits qui prennent fin en même temps que d’autres s’esquissent, l’industrie musicale va prendre le phénomène à rebours. À force d’engranger de substantiels profits, un esprit mercantile finira hélas par s’imposer au détriment d’une certaine exigence artistique qui culminera quelques années plus tard avec le disco avant que le punk ne gifle tout ce beau monde, comme pour le ramener à la raison. Aujourd’hui, alors que les années ont passé et avec elles, les groupes, les mouvements, on ne peut s’empêcher, voire s’interdire de préférer cette époque où la pop se réinventait à chaque seconde couchée sur disque. Rappelons-nous, l’inspiration était vivace et Lennon était encore vivant…

Roxy Music, Country Life (Island)

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https://www.youtube.com/watch?v=_Hos6tiwSTI

Steely Dan, Pretzel Logic (ABC Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=v0f5nQO5Qbc

Sparks, Kimono My House (Island)

kimono-my-house.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=eHAtv9TXEv0

 

 

 

 

 


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