Alice Cooper, sévèrement musclé

par Adehoum Arbane  le 01.06.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Depuis l’aube des sixties les chemins du rock sont jonchés des dépouilles des artistes incapables de tenir leur carrière sur la durée. Celle d’Alice Cooper – le groupe, pas le bonhomme – débuta le 19 mai 1969 avec Pretties For You et s’acheva le 20 novembre 1973 avec Muscle Of Love. Cinq années, sept albums. Certes, les premiers pas furent hésitants. Pretties For You souffre des faiblesses de ses musiciens, encore novices. Péché de jeunesse que l’on retrouve partiellement sur Easy Action mais très vite éclipsé par l’arrivée de Bob Ezrin sur le troisième album, Love It To Death, crédité comme producteur et sixième membre officiel, le George Martin du Alice Cooper Band. Sa contribution sera décisive, propulsant le gang de Phoenix vers les sommets de la célébrité pailletée. À partir de cet instant, crucial pour les historiens du rock, Alice Cooper se lancera dans une magnifique course poursuite, sans jamais ralentir, ni baisser la garde de l’audace. Ce long crescendo discographique trouvera son accomplissement ultime avec Le muscle de l’amour, une imaginaire boîte de catch et de striptease. Certes pas meilleur que ses illustres prédécesseurs, non plus en dessous mais d’égale qualité ; en vérité il possède les mêmes atouts que les School’s Out et autres Billion Dollars Babies. C’est presque un cas unique dans les annales. Les  Doors en personne – que Furnier admirent par dessus tout avec les Beatles, il s’entend – sont à un moment de leur carrière revenus avec une proposition créative moins pertinente. Rien de tel avec Alice Cooper. C’est que très vite Love It To Death est devenu la matrice d’un style si particulier mêlant morceaux épiques, tubes calibrés, pop à l’anglaise, le tout traversé de savants riffs proto hard aptes à s’arrimer dans les cerveaux des kids américains. S’il lorgne parfois du côté du rhythm’n’blues avec ses cuivres rutilants, hurlant tout de go, Muscle Of Love ne dépareille pas la production du groupe ; c’est un point final riche en rebondissements. Et de surcroit, malgré le départ de Bob Ezrin, toujours à la façon d’un George sur le double blanc. Coté singles, le fan de l’époque n’est pas déçu. Du morceau titre au poppy Teenage Lament’74 – quel titre ! – en passant par le moite Working Up A Sweat, les radios locales ont des refrains à se mettre sous la dent et sur les ondes. Au rayon des compositions plus trapues, longues et insidieuses, on restera sans voix devant l’efficacité vicelarde de Big Apple Dreamin' (Hippo) – son violon cran d’arrêt sonnant comme un giallo italo-ricain – suivi de Never Been Sold Before, qui lui aussi remplit son office. Et c’est là que l’auditeur tombe en pamoison. Hard Hearted Alice, quatre minutes et cinquante trois secondes seulement. Et tellement d’idées. Débutant comme un slow eighties, se poursuivant en romance noire, larvée d’orgue et de guitare aqueuse, le titre vire mid-tempo roublard et viril avant la deuxième minute jusqu’au refrain puissant – on sous-estime le talent d’intérprète de Vincent Furnier au-delà de sa théâtralité –, le reste finissant en hard funk à la Deep Purple mais sans l’emphase du Pourpre Profond. C’est classe, sexy, bien emballé, c’est aussi le tout meilleur morceau du Lp qui en possède tant d’autres, héhé. En résumé, un opéra féminin et macabre, beau à s’en damner. Sans crier gare, le groupe enchaîne avec une chanson dont il a – parfois – le secret et dont les accents cabaret définiront le son du premier album solo de Vince, Welcome To My Nightmare. Entre les mains d’Alice Cooper, cette mélodie pour piano, banjo et clarinette a tout de la procession funéraire avec chevaux, gotiques jusqu’aux plumes, drapés de ténèbres et dépliant leur pas maniéré dans les rues de la Nouvelle-Orléans. La face B offre également des chansons rivalisant de trouvailles comme Man With The Golden Gun qui concurrence largement le Live and Let Die de McCartney, se payant le luxe d’inviter Liza Minnelli pour balancer quelques chœurs bien sentis. En plus de leur constance, Vincent Furnier, Glen Buxton, Michael Bruce, Dennis Dunaway et Neal Smith devinrent tout au long d’une discographie impeccable les chouchous de la critique, des kids, des freaks, des métalleux, des jeunes, des vieux, des prolos, des PD, des écoliers et des écolières. Surtout, leur musique fut tout à la fois l’alpha de l’immédiateté et l’oméga de l’expérimentation la plus débridée. Mieux, elle apparaît et c’est une première comme le creuset de tous les genres alors en vogue à l’époque, hard, glam, psyché, prog, soul, jazz, pop. Sans jamais donner dans le grand n’importe quoi, sans sacrifier à la cohérence ni dérouter son public, du début jusqu’à la fin, avec en guise de tomber de rideau un Greatest Hits portant fort légitimement son nom. Ce que l’on appelle la Alice Cooper Brand.

Alice Cooper, Muscle Of Love (Warner Bros)

MuscleOfLove_USA_Cover1.jpg

http://www.deezer.com/album/927096

 

 

 

 

 


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