Jean Michel Jarre, pape synthétique

par Adehoum Arbane  le 11.05.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Sur la carte de la musique électronique dite planante on trouve d’un côté Klaus Schulze, maître des nappes et des grands ensembles opératiques, et de l’autre Edgar Froese, avec ses doubles plages virginales couchées sur disques. Et au milieu coule une rivière, celle de Jean Michel Jarre. On mésestime l’importance de Jarre dans le genre, sa position en tant qu’artiste et créateur de climats, tout du moins dans ses premières années, de 1976 à 1981 avec le prestigieux triptyque Oxygène-Équinoxe-Les Chants Magnétiques. On passe également sous silence le rôle que le musicien joua dans l’émergence d’une musique confinée dans les brouillards drogués de l’underground et ceux, bien évidemment, du Krautrock. Là où Klaus Schulze, malgré son immense talent, s’est parfois enlisé dans les méandres d’un synthétisme plus plat que planant – on sauvera bien sûr Timewind –, Jarre s’illustre par son aptitude à aborder de nouveaux rivages sonores – au sens propre comme au figuré – tout en proposant une musique accessible et mélodique. C’est sa force. Qu’il s’agisse des trois œuvres citées, Jarre parvient toujours à glisser entre les thèmes plus pénétrants des formats courts, directs ; des tubes en puissance. Oxygène Part 4, Équinoxe Part 4, 5 et 6, Les Chants Magnétiques Part 2 s’imposent d’emblée dans les charts. Populaire, la musique de Jean Michel Jarre tend également vers l’universalité. C’est l’un des rares musiciens "pop" à réunir à l’époque les publics et, au passage, les générations. Sans jamais sombrer dans la vulgarisation qui affadirait ces paysages sculptés aux Korg, VCS3, ARP 2600 et autres A.K.S, Jarre propose des thèmes lisibles, aux couches parcimonieuses – en apparence – et aux mouvements dynamiques. Son obsession, délivrer une musique que l’on pourrait écouter à différents moments de la journée. Des morceaux miroirs en quelque sorte. C’est-à-dire capables d’incarner intensément les humeurs de l’auditeur en accord avec les variations de la nature. D’où ces effets quasi organiques reproduisant le son des vagues ou la chute d’improbables météores s’écrasant harmonieusement sur la surface du vinyle, et par extension de la terre. Cet aspect naturaliste préserve le public de l’ennui qui pourrait le gagner face à des monolithes froids et désertiques comme les œuvres dépeuplées de Schulze. Il y a de la générosité – ce terme peut sembler péjoratif – dans les créations de Jarre. Dans un docte langage, on dirait richesse ou transversalité. Cette constatation dépasse de loin le caractère propre à la geste Jarrienne. Au-delà de la palette instrumentale, le visuel doit aussi frapper les esprits ! De même que le psychédélisme sixties s’inspire en grande partie des récits de Tolkien, tout le corpus des musiques planantes initiées par Pink Floyd prend sa source dans l’aventure de la conquête spatiale préfigurée par 2001 l’odyssée de l’espace en 68 et rendue possible par le premier de l’homme sur la lune, le 21 juillet  1969. Dès lors, Jean Michel Jarre s’affirme comme un complétiste dont l’œuvre, musicale et conceptuelle, se fond dans la poésie formelle de Ray Bradbury et Le vertige spatial de Heinlein. Loin du surréalisme parfois Dalien des covers de Klaus Schulze. Celle-ci résonne avec les fantasmes et aspirations de son temps que l’on retrouve dans l’imaginaire collectif distillé de façon subliminale dans les génériques de la télévision publique mais aussi dans ces programmes précurseurs qui démocratisent, dans les années 80, les œuvres de science fiction – tant littéraires  que cinématographiques – auprès d’une audience large et néophyte. Sur Oxygène, la fascination pour l’espace – ses étendues infinies, ses galaxies à défricher, ses trous noirs obsédants – mais aussi la vie sur Terre à travers sa dimension écologique s’avèrent flagrantes. Le rapprochant d’un cinéaste comme Tarkovski – le prélude végétal de Solaris. Sur Équinoxe, on navigue ailleurs, dans un théâtre inquiétant où Orwell rencontrerait Folon. Imprimer une vision autant qu’un son. C’est l’ambition de Jean Michel Jarre, musicien trop souvent oublié, parfois moqué – l’appellation bêtement réductrice d’Ambiant – et qui eut aussi le bon goût d’explorer d’autres territoires que ceux de son père Maurice Jarre, célèbre compositeur de musique de films. Jean Michel jarre fut ce pape là, non un fils à papa.

Jean Michel Jarre, Oxygène-Équinoxe-Les Chants Magnétiques (Disques Dreyfus)

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https://www.youtube.com/watch?v=nz1cEO01LLc

 

 

 

 

 


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