Grateful Dead, musique vivante

par Adehoum Arbane  le 18.05.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Le grand défi auquel sont confrontés les groupes de rock actuels tient dans la capacité à restituer sur scène, avec force et conviction, la musique enregistrée, produite et mixée en studio. Groupe phare de la scène san franciscaine des 60s-70s, Grateful Dead fut confronté au problème inverse, à savoir reproduire en studio l’intensité de leurs prestations scéniques. Il y a bien à l’époque quelques tentatives un brin licencieuses de réenregistrer en studio des bandes gravées en concert – on pense à Happy Trail de Quicksilver Messenger Service – ou pire, d’ajouter sur des enregistrements studio des cris de foule en liesse comme sur le fameux live des Seeds. Le Dead, lui, se distingua par son honnêteté et sa volonté d’expérimenter, si chère en ces années d’effervescence psychédélique. Tel fut l’état d’esprit qui présida à la genèse d’Anthem Of The Sun, le deuxième album du Mort Reconnaissant, paru le 18 juillet 1968. Il s’agit là d’une expérience nouvelle, soit combiner de manière astucieuse enregistrements studio et prises « live » par le biais d’un savant travail de mixage visant à fondre l’ensemble jusqu’à n’avoir qu’une seule et même piste. Dieu sait que le mot nouveauté semble galvaudé à l’orée des mid-sixties, les Beatles en personne ayant d’ailleurs quelques trains d’avance en matière d’avant-garde. Après le premier et décevant album éponyme, avant le chef-d’œuvre de country rock American Beauty, L’hymne au soleil est sans doute le disque qui cristallise le mieux – avec quelques autres – les ambitions d’une génération de musiciens ayant brassé l’héritage rock et rhythm’n’blues dans le creuset du psychédélisme, dernier cheval de Troie de la contre-culture. Loin de la minutie pop de leurs concurrents anglais, le quintet devenu entre temps sextette se lance dans un travail d’orfèvrerie sonore, multipliant les instruments afin de conférer à leur space rock, encore empreint de blues, une touche d’exotisme en accord avec les mœurs culturelles de leur temps. Le résultat s’avère particulièrement saisissant sur New Potatoe Caboose dont les trois premières minutes – trop courtes – donnent à entendre une sorte de symphonie de poche aux nombreux rebondissements et autres fracas solaires. Une fois n’est pas coutume, ce qui s’annonçait comme une innocente pop song se dissout pour se transformer en jam orientale « vivante ». On retrouve bien entendu ce fil conducteur sur chacun des morceaux mais là encore, le Dead ne cède en rien à la facilité. Chaque titre possède son motif qui le différencie des autres sans jamais dépareiller l’ensemble. Ainsi, la chanson d’ouverture, That’s It For The Other One, de finir en free rock électronique et cosmique, par l’entremise de Tom Constanten, crédité pour ses prepared Piano et Electronic Tape. Seul le mini final de la face A, Born Cross-Eyed, possède son charme intrinsèque quoique moulé dans une forme plus classiquement rock, nonobstant les trompettes très Love en milieu de morceau. La face B contient, pour sa part, deux longues compositions qui semblent interagir entre elles, Alligator et Caution (Do Not Stop On tracks) dont l’intitulé témoigne à la fois de l’humour hippie en vigueur mais aussi de l’intention – louable – de ne pas interrompre un trip, fut-il sonore. D’une inspiration fondamentalement blues, elles n’en oublient pas de divaguer vers un ailleurs qui pourrait être le futur du rock, comme en témoigne le passage sur Caution où la batterie épileptique dialogue alors avec la guitare de Garcia, alanguie, avant que la voix ne soit passée au filtre d’une accélération artificielle pour revenir ensuite au rythme naturel du concert, comme si la composition était subitement sortie de son lit sous les effets de nos apprentis sorciers. Pour conclure, il est fondamental de préciser qu’Anthem Of The Sun est le fruit de l’obsession du bassiste Phil Lesh pour Edgar Varèse et Karlheinz Stockhausen. Lesh fut dans ses années d’apprentissage l’élève de Luciano Berio, grand ami de Stockhausen, au côté du très jeune Steve Reich ! C’est donc sous son impulsion que le Dead s’adonne aux bidouillages électroniques tous azimuts. Voilà pourquoi Anthem Of The Sun représente par son approche arty une parenthèse – folle ! – dans l’histoire du groupe de Palo Alto. Une pause de trente huit minutes et cinquante sept secondes – enregistrée tout de même entre septembre 67 et mars 68 –, mêlant ce que les exégètes appelèrent Live Performances – on goûte la dimension conceptuelle du terme performance – et pop songs serties dans un halo californien ; en réalité l’album fut gravé entre L.A. et New York, détail géographique gageant de sa crédibilité expérimentale. Mais là n’est pas l’essentiel. C’est encore Joe Smith, le patron de Warner Bros, qui qualifia le mieux le deuxième effort du Dead : « the most unreasonable project with which we have ever involved ourselves. »

Grateful Dead, Anthem Of The Sun (Warner Bros)

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https://www.youtube.com/watch?v=t-nuBoJ57Dw

 

 

 

 

 

 


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