Jarvis Platini, espérance propre

par Adehoum Arbane  le 06.04.2015  dans la catégorie A new disque in town

Si un jour on m’avait dit que j’écrirais à propos d’un album pas tout à fait disque, parce que dématérialisé, sur des chansons non chantées mais chontées, c’est-à-dire contées. Je crois que j’aurais ri. Venons en à Sale Hope. Ceci n’est ni une pipe ni de la pop, pas plus du rock. Punk ? À voir. Art brut sans aucun doute tant l’exigence du texte à nu, porté par une voix à la limite de la fêlure, paraît insurmontable. Et pourtant, on cède, on y vient et revient par petits bouts, jamais dans le même sens, on détricote cette prose habile. C’est que Sale Hope ne ressemble à rien, rien de ce que l’oreille humaine, pourtant bien éduquée, n’ait tenu pour acquis. Acte créatif insondable, impossible à cerner, voire à résumer d’autant que son auteur se dissimule derrière un nom de plume et un titre d’album volontairement burlesques. Déroutant donc. Mais la curiosité piquée vous commande d’écouter ça à nouveau, de considérer l’œuvre – car il s’agit bien d’une œuvre au sens littéraire du terme – dans sa globalité, sa singularité. Jarvis Platini a écrit et enregistré, seul, neufs morceaux – de poésie, en fait – valant plus qu’un petit détour. S’il faut dépasser l’appréhension première – liée à la forme mais aussi au fond –, il y a dans cette tentative transformée en geste héroïque remuant bien plus que le fondement –  jusque dans la tête encore secouée par ce sens aigu de la rime – un humour désespéré, un tourbillon de virtuosité, avec dans l’espace déplié de l’écoute confortable – au casque donc – la perception du studio, une sorte d’écho donnant curieusement à l’enregistrement une incarnation stupéfiante. Impression renforcée par la diction, live, de son auteur qui semble parfois buter sur ses propres mots, mais qui à chaque fois se rattrape par la seule force de l’interprétation. Il y a aussi ces parcimonieuses références qui placent ce récit original dans une perspective résolument contemporaine, sans jamais sombrer dans le commentaire aisé, dans l’analyse sociologique poussive. Loin des commentateurs du hip hop, pire du slam. Sans doute la voix de Jarvis, presque blême, poussée dans ses ultimes limites et la production à l’os confèrent à l’ensemble une honnêteté désarmante, un pouvoir peu commun. Cette idée aussi de l’œuvre au-delà du support, immatérielle donc, presque irréelle,  et qui doit autant aux circonstances financières qui ont présidé à sa réalisation – le studio d’enregistrement prêté – qu’à une esthétique assumée. On prend plaisir à écouter – le mot prend ici tout sa signification – ces brèves rimées comme on découvre les versions démos de nos chansons d’adolescent, celles des Beatles, de Dylan – les fameuses Basement Tapes. Parlons du texte dans le détail car la prose de Jarvis Platini vaut plus qu’un simple match aller. Ce monde bien à lui, ce bled à la météo cartoonesque, possède sa langue, vivante et âpre, qui vous rudoie au début pour vous séduire par la suite. Suite de phrases à la rythmique souple, de rimes audacieuses, de mots parfois grossiers, jamais vulgaires et dont on arrive à faire, au bout de quelques minutes, des confidents, des tournures de chevet. Ce que les mots racontent est particulièrement confondant, d’abord dans la vérité pas toujours heureuses d’historiettes bancales et touchantes – Pauline Partout Justine Nulle Part –, mais aussi dans la simple splendeur poétique que Jarvis manie avec une extrême dextérité. Style à l’enfilade qui trouve bien entendu son apogée dans De Barcelan à Bob Dylone. Pas seulement pour son statut, sa position sociale de morceau final. Peut-être aussi pour sa durée qui, dans la dilatation des minutes et le délitement de la raison au profit de la passion, emporte tout, le corps, l’âme chahutée pour vous laisser, exsangue et heureux, au bord de la route. Toutes les influences sont ici convoquées, Pierre Louÿs et Bukowski notamment. En sondant les entrailles de l’Internet, on apprend que Jarvis Platini donnera une suite à Sale Hope : Dis Pute. On apprécie déjà l’effet miroir en attendant d’y sombrer encore et encore. Du coup, cet espoir n’est point aussi sale qu’il n’y paraît. 

Jarvis Platini, Sale Hope (Indépendant)

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https://soundcloud.com/jarvis-platini

 

 

 

 

 


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