Al Kooper, l’envie n’a pas de prix

par Adehoum Arbane  le 13.04.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Du bon usage de l’argent que l’on gagne en faisant un succès. Une courte maxime dont Al Kooper semble avoir fait son crédo. Jadis organiste de blues sur les mythiques Highway 61 Revisited et Blonde on Blonde de Dylan, Al Kooper n’a jamais cessé d’enregistrer, de produire. D’abord au sein de Blood Sweat & Tears, orchestre de jazz pop contemporain où il brille déjà par la singularité de son style. Un premier album, Child Is Father To The Man, est mis en boîte fin 67. L’année 1968, pivot du psychédélisme alors en vogue, sera l’occasion de sortir la fameuse Super Session gravée avec les guitaristes Mike Bloomfield, figurant déjà au casting du Butterfield Blues Band et de l’Electric Flag, et Stephen Stills tout juste échappé de l’aventure Buffalo Springfield. Parmi les reprises de Dylan, Donovan ou de Curtis Mayfield et les blues consacrés, Al Kooper cosigne l’atonal His Holy Modal Majesty, matrice des merveilles à venir. Le succès devient raz-de-marée, le disque s’écoulant à plus d’un million d’exemplaires. Commence alors le marathon d’une très fastueuse – et non moins classieuse – carrière solo. 1969, Al Kooper frappe fort, très fort même, avec I Stand Alone, première incursion démentielle – la production chatoyante et l’inspiration totalement baroque – dans le songwriting en solitaire bien que le musicien continue d’aligner les reprises judicieuses ; le Coloured Rain de Traffic. Le confort financier de Super Session aidant, Kooper opte pour le spectre le plus large qu’un studio de l’époque puisse offrir. Et cela s’entend. Quel artiste américain peut se prévaloir d’un tel luxe, hormis bien sûr les Beatles ? Faut-il le préciser, les arrangements complexes ne constituent pas pour Kooper un frein à l’écriture – même s’ils compensent parfois ses faiblesses vocales. Au contraire. Derrière les rideaux de cordes, les cuivres en pagaille, les grandes orgues de sortie, les chansons sont toujours au rendez-vous.  Chaque année Al Kooper revient avec un nouveau disque, encore plus ambitieux. Jusqu’à New York City (You're A Woman). Nous sommes en 1971. Le rêve hippie s’est effondré, le hard rock domine de l’autre côté de l’Atlantique. En Californie, au cœur de la forêt d’émeraude de Laurel Canyon, les singer-songwriters parent leurs compositions des attributs de la folk et de la country spatiale. Kooper lui poursuit sa quête personnelle. Le son qui est désormais le sien est marqué du sceau de la pop mais avec ces parcimonieuses touches de soul qui lui ont toujours portées chance. Shooté en noir & blanc et cadré de près, Al Kooper s’épanche autant sur carton qu’en chansons et livre donc son album le plus intimiste, mais aussi le plus ouvert. Son chef-d’œuvre ? Probablement… Certainement ! On y trouve encore des reprises mais moins attendues que sur ces précédents opus. Exit Dylan, Kooper reprend Elton John pour proposer un Come Down In Town plus secret encore, plus éthéré que dans sa version originelle. Ainsi assoit-il un peu plus son statut de compositeur, loin de son passé de super session man. Sur onze titres, trois le montre sous un jour rock : The Ballad Of The Hard Rock Kid – presque de trop –, l’efficace Back On My Feet aux accents pop très séduisants et Dearest Darling signé Bo Diddley. Le reste du Lp, soit huit chansons au total, évolue sous d’autres latitudes, tantôt soul et ouatées, tantôt rêveuses et symphoniques. Le morceau titre d’abord qui pose dès les premières secondes le niveau d’exigence du jeune compositeur – il est alors âgé de 27 ans. À la fois laid-back et en même temps sensuelle, ourlée de nappes de mellotron – instrument que l’on retrouve d’un bout à l’autre de la tracklist –, cette ode à la grosse pomme demeure l’une de ses plus belles contributions. Le reste est bien entendu à l’avenant. Le fiévreux John The Baptist (Holy John) autant que le doucereux Can You Hear It Now (500 Miles), traditionnel arrangé et interprété avec goût. Going Quietly Mad, qu’on jurerait échappé d’Abbey Road, est le deuxième trésor de cet album incroyable. Pour porter aux nues ce refrain génial, Kooper a la judicieuse idée de trafiquer puis de moduler le timbre de sa voix qui s’évapore dans les aigues pour glisser progressivement vers les graves, donnant une résonnance toute particulière au texte. Nightmare #5 et The Warning (Someone's On The Cross Again) referment les portes du studio où Al Kooper a manigancé avec malice et grandeur ce quatrième opus qui aurait dû rester dans toutes les mémoires. Point final catarthique, The Warning porte si bien son nom qui déploie dans l’espace son gospel astral. Une fois la dernière note passée, on ne peut s’empêcher de songer à l’extrême liberté dont l’artiste a joui, chose devenue rare, voire impossible de nos jours. Surtout, Kooper a réussi à mettre des moyens énormes au service de compositions réellement pénétrantes. À l’avenir, l’industrie devrait s’en souvenir.

Al Kooper, New York City (You're A Woman) (CBS)

R-2382516-1322881697.jpeg

http://www.deezer.com/album/78752

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top