Rundgren, le magicien ose

par Adehoum Arbane  le 16.03.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Dans les dictionnaires du rock et autres Lagarde & Michard Pop, Todd Rundgren est habituellement présenté comme un sorcier du son. Et c’est bien le sentiment qui envahit l’auditeur à mesure que défilent les minutes de A Wizard, A True Star, paru en 73. Pour résumer l’affaire – et s’agissant de Rundgren le mot "résumé" est à lui seule une gageure –, A Wizard est une verrue de taffetas. Un véritable ovni et pas seulement pour ses thèmes psyché-spatiaux. Une sorte de Sgt Pepper total mégalo, mais tout à la fois hyper créatif, usant, génial. Baroque. Déjà avec son groupe Nazz, Rundgren avait prouvé à quel point tout son art était mû par une vision. Ce petit rien qui fait beaucoup et que seules quelques pointures comme les Beatles – Macca surtout –, Phil Spector, Randy Newman ou même Elton John possédaient. Todd Rundgren s’en détache par sa folie sans borne, mais aussi par sa maîtrise du songwriting et de la production musicale en général. Ce touche-à-tout pop a synthétisé – le mot prête, ces jours-ci, à sourire – tout son savoir-faire à travers ce quatrième album littéralement dément et qui pousse le vice superbe jusque dans les moindres détails de sa pochette biseautée. Le musicien a envisagé cet album comme un diamant aux multiples facettes kaléidoscopiques – plus un diamant est taillé plus il prend de la valeur – le tout sur un seul disque ; il convient de préciser sur un seul vinyle. Pour cela il choisit de morceler le thème principal de la première face, International Feel, en une myriade de mini chansons opératiques oscillant entre l’expérimentation absurde et l’obsession de la mélodie, ici magnifiée par l’exubérance veloutée des arrangements. La deuxième face explore cet autre objet de fascination de Rundgren pour la soul music ouvragée, celle de Philadelphie bien sûr, sa terre d’élection. Mais aussi et surtout celle pratiquée par d’autres magiciens un brin maniaques comme les Delfonics ou – plus pointu – les Stylistics. De Sometimes I Don’t Know What To Feel à Just One Victory – qu’un Micheal Jackson pâlichon aurait rêvé de composer – en passant par le medley qui occupe au bas mot dix minutes et trente cinq secondes de la face b, la black culture irradie littéralement le psychédélisme blanc du jeune compositeur. Rien d’étrange à cela. On compte quelques formations afro-américaines à s’être penchées sur le chaudron bouillonnant des sixties acides : The Fifth Dimensions, The Chambers Brothers et bien sûr les Soul Survivors. Ce sont les deux versants de l’héritage du jeune maître qui s’expriment dès lors sur les deux faces et que l’on retrouve sur ses précédents Lp. À chaque fois, Todd vient truffer ses morceaux de strates sans fin où résonnent des claviers stellaires, des guitares rougeoyantes, des cuivres duveteux. Sans doute en a-t-il trop fait – on s’interroge –, peut-être a-t-il repoussé le champ des possibles jusqu’à l’écœurement – c’est moins sûr –, mais jusqu’où un créateur peut-il aller trop loin ? D’où le constat quelque quarante et un an plus tard d’une musique impossible à reproduire aujourd’hui. Pas tant pour son aspect purement anti commercial bien qu’il compte des tubes avérés, le La-La (Means I Love You) des Delfonics. Mais plutôt pour sa fascinante étrangeté, son aspect fourre-tout ô combien cohérent. Sa révolution permanente. De nos jours, tout semble si lisse, au-delà de la compression que les groupes ont intégrée et qui engendre fort logiquement des disques d’une froideur millimétrée. Plus d’espace musical pour s’exprimer, encore moins de temples dédiés, les home studio et autres ordinateurs ayant bien souvent remplacé les studios à l’ancienne. Ce n’est pas tant une question d’argent, d’investissement, ou de pur commerce. Mais une question d’ambition à proprement parler et d’inspiration il s’entend. On ne fera rien de bon avec une ligne mélodique médiocre, chez soi sur un mac ou à Abbey Road. C’est sans doute la leçon de Todd Rundgren, miniaturiste infatigable, inventeur dans l’âme. Et amoureux des grandes chansons. Si vous trouvez l’époque morne, cynique, privée de la moindre aspérité ou tout bonnement vide de sens, écoutez et réécoutez A Wizard, A True Star. Effets (secondaires) garantis ! 

Todd Rundgren,  A Wizard, A True Star (Bearsville)

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https://www.youtube.com/watch?v=Y9DVcBZto4E

 

 

 

 


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