Pink Floyd, le blues des businessmen

par Adehoum Arbane  le 03.03.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Exit Robert Johnson, John Lee Hooker, Alexis Korner ou John Mayall. Et si le plus grand album de blues de tous les temps n’était autre que Wish You Were Here de Pink Floyd ? Pour beaucoup, le blues est l’affaire des puristes. Du plus haut de leur mépris – comme d’une pyramide napoléonienne –, ces derniers renvoient la pop à la vulgate. Sans le vouloir Pink Floyd aura réconcilié les deux camps. Avec en guise de trait d’union tout le savant attelage des musiques cosmiques qui ont fait sa légende. Inutile de rabâcher ad nauseam les théories mille fois lues et entendues à propos du neuvième album du plus célèbre groupe anglais de toute l’histoire de la pop et dont la musique, à force de persévérance, est devenue depuis un mythe contemporain. Il serait ainsi vain de préciser que Roger Waters, David Gilmour, Richard Wright et Nick Mason accouchèrent de cette œuvre dans la douleur d’une inspiration tarie par les tournées incessantes, le cynisme et le fric dont ils ont fait l’une des thématiques centrales de leur création. Pas plus qu’il ne faudrait aborder l’impossibilité de dépasser leur précédent chef-d’œuvre, Dark Side Of The Moon, sommet de perfection musicale et sonore qui en fait l’album test de tous les amoureux de hi-fi de par le monde. Enfin, et bien entendu, on ne s’attardera pas plus longtemps sur la dimension fraternelle de Wish You Were Here et de son morceau de bravoure, Shine On You Crazy Diamond, hommage naturel à Syd Barrett. La quintessence de ce disque ultime se résume dans ce petit riff de guitare – motif mélodique – qui fait suite aux trois minutes et cinquante cinq secondes d’introduction dominée par les synthés mélancoliques de Wright. C’est Gilmour qui en est le créateur et ces quelques notes, absurdes de simplicité, constituent le point de départ de cette nouvelle aventure, odyssée planante éternelle. Disons-le, le blues en tant que gimmick et genre apparaît partout dans l’opus. On l’entend évidemment dans la pièce maîtresse, scindée en deux parties – une sur chaque face, en ouverture et fermeture du Lp – mais aussi sur Have A Cigar où Gilmour fait des merveilles, où les claviers de Wright développent des inflexions sexy. Il revient sous une forme plus acoustique avec le morceau titre qui, de l’aveu de Gilmour, sonne à la manière d’une chanson country, comme en atteste le piano stonien faisant jeu égal avec le Minimoog. Alors que Shine On – ainsi l’appellent les absolutistes – sonne le rappel, c’est la guitare acérée, vive et bluesy de Gilmour qui mène la danse. Elle se tord dans des convulsions électriques pareilles à une jam seventies sans pour autant ménager l’auditeur qui espère en des nappes salvatrices de VCS 3. Celles-ci ne sont jamais très loin, parfois en pointillé sonore rappelant à quel point Pink Floyd demeure un formidable créateur d’atmosphères. Dans ce final aussi grandiose que son déchirant prélude, les keyboards côtoient les voix de velours de Venetta Fields et Carlena Williams, choristes afro-américaines qui n’avaient jamais évolué dans un tel registre. Le blues, ici cosmique, irradie chaque seconde, chaque centimètre carré invisible de ce classique inaltérable, admirablement produit et enregistré par quatre musiciens au faîte de leur art. Surtout, ce dernier est emblématique, petit un de l’équilibre trouvé entre les musiciens – Waters à la composition, Gilmour en tant que soliste, Wright pour les paysages sonores –, Mason se chargeant d’unifier l’ensemble par son jeu si percussif et pour l’occasion ralenti à l’extrême ; petit deux d’une écriture ramassée, immédiate, presque pop où les couplets-refrains renouent avec le Floyd de la grande époque. C’est sans doute là, d’ailleurs, que réside le vrai hommage à Syd Barrett dont les singles fous hantent à jamais les esprits. Syd qui sans le savoir présida à la destinée de Wish You Were Here à travers une vision, une fulgurance quasi messianique : voilà qu’en cette fin d’année 1965 il décidait d’emprunter à deux bluesmen américains leurs prénoms, Pink Anderson et Floyd Council, afin de donner un nom à son propre groupe. On connaît la suite. Elle mène tout droit dans les studios d’Abbey Road, en janvier 1975, où David Gilmour bredouille sur sa Fender une petite phrase, plus fondatrice qu’il ne l’imagine.  

Pink Floyd, Whish You Were Here (Harvest)

LP-Cover-Pink-Floyd-Wish-You-Were-Here.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=bT7bbgsyzKc

 

 

 

 

 

 


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