Heep, Heep, Heep Uriah

par Adehoum Arbane  le 02.02.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Pour le commun des mortels, le hard rock – heavy metal pour les très très intimes – serait uniquement le fait de zicos bas du front, faux virtuoses au maniérisme trompeur et à la brutalité avérée. Et si ces gens-là, pour paraphraser Brel, se trompaient lourdement ? Et si le Hard était en définitive fin, léger ; soit foutrement intelligent ? Fin des années soixante, le psychédélisme freak agonise. Il sera bientôt troqué en Amérique pour un country rock hippie de fort bel aloie. En Grande-Bretagne, c’est donc le Hard Rock qui se taille la part du lion royal. Un hard tantôt mâtiné de blues, tantôt accompagné d’orgue pour un résultat efficace, puissant – cela va sans dire – mais parfois dépourvu de la moindre once de subtilité. Au royaume des Kinks, on s’étrangle. Avec son amalgame alors très en vogue entre riffs lourds et influences prog, Uriah Heep va pourtant tirer son épingle du jeu musical. Si les premières esquisses du style Heep peuvent paraître aujourd’hui emphatiques, boursoufflées, imparfaites, le groupe trouve en cette année 72 une forme d’équilibre tenant de la dentelle. Un fil ténu, constitué d’un enchevêtrement d’instruments et de sonorités donnant à la musique une épaisseur, une gravité rare. Car derrière la force de frappe, se niche une douceur de fripe que nos hippies hard arborent en back cover du pressage original. Plaisanterie mise à part, les neufs titres, différents par la longueur et la tonalité, s’assemblent tous de façon naturelle, quasi charnelle, au-delà des enchaînements voulus lors du mix comme pour Paradise et The Spell. Sans sombrer dans un mysticisme de pacotille, bien que la thématique des démons et magiciens semble tiraillée par les crinières de hardos mâles et fiers, le groupe donne à travers des ambiances ombrageuses corps à ses chansons. Et c’est bien sûr dans les morceaux épiques qu’il trouve sinon un style, tout du moins une inspiration réelle, bien loin des litanies hurleuses ou sataniques de ses homologues britanniques. Il n’y a certes que Led Zeppelin pour incarner entre 71 et 73 une forme de "magie" fort éloignée du hard des premiers âges. Circle Of Hands sur la première face, précédé de l’incisif Poet’s Justice, confirme et avec quelle maturité les nouvelles orientations de Uriah Heep. Soit un hard rock redevenu cool – sans trop paraître baba – où l’exigence en matière de production contribue à l’évidente réussite de la composition dont le final emmène l’auditeur, littéralement transporté, vers des confins rêveurs insondables. Sur l’autre face, Uriah Heep touche au sublime. D’abord avec Rainbow Demon à la placide virilité ; on en oublierait presque qu’il s’agit d’un blues rock assez conventionnel. Puis avec l’appareillage sonique Paradise-The Spell qui, si l’on y prête attention, ne font qu’un seul et même morceau. Plus de douze minutes de beauté convulsive. Le paradis empruntant au folk, enrobé par une rythmique élastique, sa dimension céleste. Quant au Sort que le groupe nous jette, il commence dans la tourbe d’un boogie très New-Orléans pour s’achever en apothéose cosmique nimbée de chœurs incroyablement bien enregistrés ; l’idée du mur de son de Spector fait alors son chemin dans les esprits tant les voix éclatent de façon massive. On retrouve bien évidemment ces chœurs sur l’ensemble du Lp, devenant au même titre que l’orgue baveux et les guitares crissantes l’une des signatures de Uriah Heep. Une telle musique n’a certainement pas été improvisée. Il est certain que nous n’avons pas à faire à la crème des songwriters anglais, mais le savoir-faire du groupe atteint sur Demons & Wizards son apogée. Pour parachever l’œuvre en chef, Uriah Heep a fait appel pour la toute première fois à l’imaginaire flamboyant de modernisme et d’étrangeté de Roger Dean, illustrateur officiel de Yes, et qui trouve avec Uriah Heep une expression singulière capable de rivaliser, oui, avec l’artwork du géant progressif. Le talent du groupe sur ce disque fondateur, hélas le meilleur si l’on considère la suite, fut de passer la culture hippie au filtre des temps nouveaux ; une époque sombre enlisée dans la corruption, l’affairisme et la guerre. Un challenge de taille pour ces hippies dans l’âme, comme beaucoup d’autres, grands amateurs de Tolkien, d’épopées fantastiques et de science-fiction. Uriah Heep, trait d’union ingénieux entre magie et démonologie.

Uriah Heep, Demons and Wizards (Bronze Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=btDHH3tRqR8

 

 

 

 


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