Deep Purple, huit nuances de gris

par Adehoum Arbane  le 16.02.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Pour les snobs du rock, la carrière de Deep Purple aurait très précisément démarré avec le fameux In Rock, brûlot de virilité glabre et braillarde, surtout célèbre pour son gros pompage de Child In Time – et au passage upgradé –, chanson dont la paternité revient en fait à It’s A Beautiful Day. C’était oublié qu’avant la période dite "Mark II", le violet profond eut un intéressant passage à vide psyché hard, cependant nécessaire, et qui permit d’esquisser un son en même temps qu’il éprouvait plusieurs combinaisons de musiciens. Pas encore de Ian Gillian au "chant", pas plus de Roger Glover à la basse mais le très expressif Rod Evans aux cordes vocales et Nick Simper à la Fender Bass. Surtout, c’est l’heure du grand saut. L’instant précis où Deep Purple laisse de côté ses reprises scolaires pour se livrer – corps et âme – aux affres de l’écriture. Excepté Lalena signé Donovan, ce Deep Purple sobrement éponyme abrite en son sein des compositions originales, certes au sens littéral du terme, mais tout aussi singulières. Loin des débuts poppy, le quintet d’Hertford embrasse une inspiration plus sombre, pas tant métal bien que la guitare de Backmore y fasse merveille, mais traversée d’ambiances prenantes aux aspects musicaux plus matures. Il faut dire que le groupe a presque tout misé dans ce nouvel opus. L’artwork emprunté à Jérôme Bosch, ce jardin des délices dont le troisième volet de gauche figure un enfer monstrueux, glapissant d’horreurs évoquées par le menu détail et dans lequel on retrouve les musiciens incrustés, minuscules êtres photographiques perdus dans un noir et gris spectral. On est loin des portraits académiques et des gentilles tapisseries psychédéliques. À l’intérieur, on navigue entre pâleurs hivernales d’un clavecin saisi de syncope – le sublime Blind – et cauchemar mixé en boucles inquiétantes sur Fault Line qui, ô surprise, débouche sur The Painter, blues rock fiévreux et sexy. Deep Purple va même jusqu’à oser des contorsions funky – le superbe The Bird Has Flown englué dans la wah-wah de Blackmore et la voix grave de Rod Evans –, voire même des influences tropicalistes sur la formidable entrée en matière de Chasing Shadow, toutes percussions dehors. Avec April, le groupe propose rien moins qu’une symphonie de poche aux méandres complexes et aux parti-pris audacieux. Dans le genre, il s’agit sans aucun doute du meilleur attelage entre rock et symphonisme. Cela commence par un thème westernien joué à la guitare acoustique – doublée par le piano et l’orgue –puis ponctué par les cisaillantes interventions de Ritchie Blackmore. Quand les chœurs arrivent, le groupe atteint un premier paroxysme. Début de la deuxième partie, surgit un ensemble de cordes et d’instruments à vent dont un hautbois mélancolique, composé et arrangé par Jon Lord. Sans jamais tomber dans la démonstration vaine, le groupe opte pour l’épure à travers un thème dont l’art emprunte à la musique de chambre et qui se finit en crescendo. Roulement de batterie entrelacée de basse, April, la vraie chanson, démarre tout en riff et en émotion, Evans donnant forme et chair aux paroles de Jon Lord. Et alors que Ritchie Blackmore déroule les notes d’un solo enfiévré les chœurs reviennent pour un final déflagrant. Hormis le plus faible Why Didn’t Rosemary ?, ce troisième album est donc une complète réussite. Après les tâtonnements des prémices, à la limite de l’ataraxie, ce numéro III, paru le 21 juin 1969,  incarne toute la sophistication d’un rock adulte en perpétuel questionnement, à la recherche d’une esthétique propre. Mieux, il procède de l’apostasie musicale. Bien que provisoire, cette première révolution marquera discrètement son temps, avant d’aborder les rivages céruléens aux débordements tapageurs de In Rock. Emportant au passage une partie du line-up qui pourtant n’eut jamais démérité. Disque touffu, empli de beautés sibilantes, violent autant que spirituel, inventant un an avant d’autres une sorte de black Stabat avec ses chœurs bombés, ses orgues de grande messe aux puissantes oblations. Parenthèse en chansons, enchanteresse. 

Deep Purple, same title (Harvest)

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https://www.youtube.com/watch?v=NfcsP816ivc

 

 

 

 

 


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