Manipulator, Ty standard

par Adehoum Arbane  le 29.09.2014  dans la catégorie A new disque in town

On aime bien Ty Segall. Ce stakhanoviste du rock. Même s’il ne bouscule en rien l’ordonnancement de son grand œuvre – le mot est faible ! –, son appétit d’écriture et de réalisation force le respect. C’est que le bouillonnant rockeur californien a quasi réussi – pour la blague – à créer son propre modèle économique et artistique. Manipulator porte ainsi bien son nom. Segall nous manipule et on en redemande. Et il nous en redonne. Son mode de création court-termiste lui permet de livrer à chaud des disques bourrés de chansons. Certes, on y trouve des scories mais le plus souvent, et il faut bien l’avouer, le résultat est proprement jouissif. Tel est Manipulator. Long comme la constitution des Etats-Unis d’Amérique. Dix-sept morceaux, il faut le faire. L’acte en soi équivaut à ces double, voire triple-albums qui sévissaient durant les seventies. Une sorte de All Things Must Pass du rock garage. Sans jams, mais avec cette énergie et ce sens aigu –malin – de la mélodie propres au gamin de Orange County. Certes, on aurait presque l’impression qu’il s’agit d’un album de chutes. Pas de son dernier opus, non, le très contemplatif Sleeper. Plutôt de sa discographie entière tant il convoque les esprits des créations passées. Ce constat d’habitude inquiéterait tout amateur de rock normalement galbé. Une telle boulimie doit certainement cacher un vice de forme, et de forme l’homme n’en manque pas. Ainsi, à chaque titre qui débute, passe et puis finit, on guette le faux pas, l’erreur, le moment où l’album va trébucher. Et non ! Rien n’y fait ! À croire que Ty Segall a produit son best of ever, toutes périodes et formations confondues. Au-delà des chansons mêmes, de leur troublante efficacité, c’est surtout le soin apporté à la production qui fascine l’auditeur éberlué. Le disque dans son ensemble bénéficie d’une prise de son plus nette, moins lo-fi excepté peut-être le plus rugueux The Crawler, vrombissant de fuzz. Les instruments paraissent ainsi mieux isolés et donc restitués avec une clarté à laquelle Segall ne nous avez pas habituée. Même le chant s’est posé, trouvant parfois des chemins autres, des inflexions soul comme sur Mister Main ou sur le final presque symphonique, très T Rexien, de Stick Around. À force d’enregistrer, Ty Segall s’est bonifié tel un cru de Napa Valley mais en mieux. Sans aller jusque là, Manipulator ressemble à un catalogue de la pop musique des quarante dernières années façonné par un Todd Rundgren des temps nouveaux mais dans un style plus abrasif que le maître de la Philly Pop Soul. Une sorte de Something/Anything garage punk. Et de se poser la question. La guitare sur laquelle Ty compose ses chansons ne serait-elle point une corne d’abondance ? Le jeune homme serait-il touché par la grâce ? Figurerait-il dans les petits papiers des dieux du rock ? Comme le veut la formule maintenant consacrée, la vérité est ailleurs. Notre trublion inspiré est allé défier le potentat de Detroit – Jack White himself – sur son propre terrain en déclinant, certes, une formule en tout point identique mais avec ce supplément de fièvre, cette "fraicheur" qui fait tant défaut à l’ex pilier des White Stripes. Car il faut oser enchainer des perles – dans le langage best of anglophone on dit gems – comme le morceau titre, mais aussi et dans le désordre du niveau de The Hand, It’s Over, du drôlement bien nommé Who’s Producing You?, du très weezerien Susie Thumb, de The Singer à l’intro pompant gentiment I’ve Been Loving You Too Long de Otis, sans même parler de The Faker – jamais fake – et de l’oriental mais toujours génial The Clock. On pourrait tous les citer, les décrire par le menu. Ce côté auberge espagnole sied bien à Ty Segall qui évolue dans son disque comme un poisson dans l’eau, changeant de peau comme d’instruments. À l’arrivée, on est heureux, rassasié. Pendant, on ne s’ennuie jamais. Et avant ? Bah, on attendait patiemment le tout nouveau Ty Segall. Il est arrivé et une fois de plus, Ty régale.

Ty Segall, Manipulator (Drag City)

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https://www.youtube.com/watch?v=e4VA-b5ORxI

 

 

 

 


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