Les Pretty Things, l'étoffe des grands

par Adehoum Arbane  le 11.08.2014  dans la catégorie C'était mieux avant

Ils auront été des Rolling Stones de seconde catégorie durant les sixties et des sous Beatles à l’orée des seventies. Contre vents et marrées – ceux de la confidentialité –, ce gang de petites frappes connut un succès relatif avec une série de hits énervés dès 1965, dont le séminal Midnight To Six Men, pour se muer au fil des années en groupe pop magistral. Réussissant malgré tout à livrer pendant ces décennies fécondes deux chefs-d’œuvre ultimes, SF Sorrows en décembre 1968 et Parachute en juin 1970. Mais à l’époque, les éléphants sont légions : Beatles, Kinks, Who sans parler des ténors du nouveau rock que sont Black Sabbath, Deep Purple, Led Zeppelin, étincelants dans leur armure de métal. Comment rivaliser ? En 72, le groupe semble essoré. Les membres fondateurs quittent le navire, à l’exception des rescapés Phil May, Jon Povey et Skip Alan. Beaucoup envisagent aujourd’hui les Pretty Things comme un épiphénomène et ils ont tort. Les quelques observateurs, véritables phares dans la nuit pop des seventies friquées, vont braquer leurs regards sur une année dans la vie des Jolies Choses, sur un disque, un seul mais qui vaut à coup sur le détour ; 33 feront le reste. Silk Torpedo. Rien que le nom inquiète autant qu’il séduit. Idem pour la pochette, signée par l’incontournable studio graphique du moment, Hipgnosis. La Torpille de Soie est donc leur troisième chef-d’œuvre, allez le quatrième si l’on considère cette anomalie gracieuse que fut Emotions. Back to 1974. À l’intérieur de la pochette "gatefold", l’objet d’un culte précieux. Une galette produite par le nouveau label de Led Zep, Swan Song Records. Sous le numéro 59440. Sur la double page, le groupe portraitisé se trouve négligemment posé sur un décor d’île paradisiaque. On les sent fatigués, Phil May un brin bouffi alors que sa chevelure borde impeccablement son visage. Ne pas se fier aux apparences. Elles sont ici trompeuses. Car le groupe a encore, sans mauvais jeu de mots, des choses à dire. En onze titres, il va prouver à quel point il est grand. Pas seulement par le bruit, cette aptitude rebelle à faire hurler les guitares et faire ployer les filles. Mais par sa science consommée, digérée même, de l’idiome pop. Cela commence par l’intro de Dream enlacée au vrai premier titre, Joey. À peine débuté, déjà un sommet ! Certes un peu long, ce morceau de bravoure brille par la diversité de sa production aux claviers scintillants comme un coucher de soleil sur Koh Tao. "It’s got to be a dream, yes it is" chante Phil d’une voix de velours que masque tout juste son bedon de rock star des seventies. "It’s got to be a dream", qui se pose encore la question ? La réalité est tout simplement somptueuse. Si Maybe You Tried sonne comme un bon vieux rock pur jus, Atlanta donne à la pop ses lettres de noblesse. Une fois de plus le piano – instrument par excellence des singer-songwriters – y est roi. Si l’on fait abstraction de son dispensable suffixe L.A.N.T.A., c’est une réussite de plus. La face A se clot en beauté avec Is It Only Love où le groupe enjolive ce genre de mélodie lumineuse que l’on rêverait tous d’écrire un jour. May, lui, y est arrivé. Sans broncher, avec autant de classe que de facilité. Side Two. Une face pas moins bonne, au contraire. S’y déploient quelques perles que les Pretty Things avaient gardé pour eux et qui achèveront de convaincre les derniers récalcitrants, sourcilleux adorateurs de pop universelle. La chanson d’ouverture bien que fort efficace ne doit en aucune manière dissuader quiconque de poursuivre – son côté gros rock pataud – l’écoute de Silk Torpedo. Pour au moins quatre raisons. Les quatre chansons suivantes. Bridge Of God réconcilierait le Vatican avec un moine défroqué – le pont et son Ave Maria en chorale suivi d’un solo de six cordes à se damner – et réussit le miracle de livrer un rock étincelant au refrain aussi frais que la rosée du matin sur le Brooklyn Bridge. Singapore Silk Torpedo s’impose comme un titre rusé à l’intro déroutante – son piano staccato – et à la rythmique endiablée. La finesse n’empêche pas la vélocité. Petit détail cocasse : la ligne mélodique fait immédiatement songer aux Who et la voix de Phil May à celle de Roger Daltrey. Sans parler de parodie, encore moins de contrefaçon, on peut dire que les Pretty Things ont écrit la meilleure chanson des Who de l’année ! Avec Belfast Cowboys et Bruise In The Sky, le groupe finit Silk Torpedo comme il l’a commencé : en deux parties et avec génie. Ces six minutes et cinquante huit secondes donnent envie de chanter en levant les bras vers l’azur comme si nous étions dans je ne sais quelle arène pop. Un stade pour les Pretty Things ! Injonction d’autant plus légitime que le groupe n’a pas démérité : sa prouesse est d’avoir fait en 74 du Supertramp période Breakfast In America – à quelques détails près – et ce avant Supertramp. Il faut réécouter Silk Torpedo, il faut réécouter toute la discographie des Pretty Things car chaque galette vaut son pesant d’or sur le tamis du chercheur de Collectors. À défaut de gros cailloux, il y trouva de la soie et onze perles brodées par six esthètes.

The Pretty Things, Silk Torpedo (Swan Song Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=1IgezhikLck

 

 

 

 


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