Justin, Award du meilleur album solo

par Adehoum Arbane  le 04.08.2014  dans la catégorie C'était mieux avant

Contrairement à ses camarades en solo, Justin Hayward n’a pas souhaité faire dans cette première tentative sous son propre nom du Moody Blues pur sucre. Bien que traversé de quelques échappées à l’étrangeté savamment distillée – le final de Nostradamus aux inflexions prog évidentes –, Justin avec Songwriter a pris son propre titre au mot. Pour livrer ainsi dix vraies chansons au cordeau, pop songs aussi attachantes que la personnalité de leur auteur. Certes, on pourra ressentir dans cet opus très réussi une impression de kitsch peut-être assumé. Ou non. Même au faîte de leur gloire, les Moody Blues ont toujours produit une musique old school, déjà datée à l’époque où elle fut gravée. Même observation avec ce premier essai, sans filet. C’est sans doute ce qui fait son charme précieux, son honnêteté à fleur de peau. Avec ses faux airs de comédie musicale de Broadway, Songwriter est un album à la sensibilité extrême. Au milieu des morceaux à l’immédiateté millimétrée – Tightrope et ses fausses trompettes en ouverture, Country Girl et Lay It On Me –, on découvre des compositions pénétrantes comme une pluie londonienne battant le pavé du Royal Albert Hall où la bonne société anglaise allait goûter les dernières opérettes en vogue. On l’imagine confrontée à Justin Hayward, pilier blond perdu au milieu de la grande scène, jouant One Lonely Room ou Stage Door. Et applaudir à cette démonstration parfaite de music-hall, d’orchestration romantique et de pop sincère. À l’instar d’un Ray Davies, Hayward aurait été taillé pour ce public venu d’un autre temps, ce XIXème siècle vibrant des écrits de Blake, Byron, Tennyson, des peintures préraphaélites de John Waterhouse ou Edward Burne Jones. C’est sans doute ces artistes célèbres que l’on perçoit par petites touches vives et nerveuses dans les six minutes trente six de Nostradamus. ‘Jus’ comme le surnomme le producteur Tony Clarke, compagnon d’aventure des Moodies, Jus donc prend les traits d’un magicien reproduisant en musique ce que les mots produisent en sortilèges et autres prodiges surnaturels. Il s’efface littéralement pour habiter sa musique, l’incarner au point où l’on oubliera même qu’il fut la grande et belle plume de son groupe, livrant des classiques éternels ; Night In White Satin, Tuesday Afternoon, Voices In The Sky, The Actor, Gypsy, Watching And Waiting, Question ou The Land Of Make-Believe. Cette force créatrice, presque désintéressée – l’homme ne faisant qu’un avec son art – on la retrouve également dans Raised On Love, tressaillant de tendresse, et sur le morceau titre, divisé en deux parties. L’une heureuse et l’autre plus ombrageuse. Tourmentée. On ne le dira jamais assez mais Justin Hayward montre ici une âme remuée par les passions intérieures, le tumulte des sentiments. C’est la lecture que l’on peut avoir lorsque l’on entend les violons exploser dans One Lonely Room pour faire place ensuite à un solo de guitare électrique déchirant le linceul de la nuit. Le paroxysme des émotions ! C’est à cet instant précis où la vérité de l’artiste se substitue à la posture du créateur. Et qu’apparaît alors dans toute sa splendide franchise le songwriter, l’unique. Seul face à ses démons mais entouré dès lors qu’il les confond devant le monde entier, prostré face lui. À l’écoute ! Au fond, Justin Hayward est à l’image du Voyageur devant la mer de nuages, tableau troublant de beauté signé Caspar David Friedrich. Un homme qui a décidé d’être lui-même – Loin, très loin des Moody Blues –, de faire pleinement corps avec la nature. Un homme dont on devine à peine le visage, cadré au plus serré sur la pochette et entouré des personnages qui peuplent ses chansons. Comme si ces dernières valaient plus que leur créateur. Hayward s’est ainsi mis en retrait, faisant place à l’essentiel, sa musique. Preuve d’une grande humilité qui a, semble-t-il, complétement abandonné notre XXIème siècle, clinquant et creux. Pour paraphraser le tout premier album des Moodies – encore empreint de blues –, nous l’appellerons pour la postérité The Magnificent Justin.

Justin Hayward, Songwriter (Deram)

Justin+Hayward+-+Songwriter+-+LP+RECORD-167842.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=tOerF9FuMGs

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top