The GOASTT, psyché d’Œdipe

par Adehoum Arbane  le 30.06.2014  dans la catégorie A new disque in town

Enfin un fils de qui ferait presque oublier le père. Sean Lennon s’était lancé dans la carrière sans brio réel, sans originalité aucune. Il n’avait pas encore brillé comme l’avait fait John en son temps au sein des Beatles puis en solo. Projet bizarroïde mené tambour battant avec sa femme – Charlotte Kemp Muhl –, The Ghost Of A Saber Tooth Tiger atteint une forme d’apogée. Oh, il ne s’agit pas d’évoquer Midnight Sun, étonnant sophomore, comme un chef-d’œuvre impérissable. Mais la chose sonne suffisamment déjantée pour qu’on s’y attarde un moment. Bien que le timbre du fiston approche de celui du pair, dans une ressemblance assez troublante, le psychédélisme que le jeune musicien déploie ici, non sans être référencé, prend surtout des accents de modernité. L’usage de synthétiseur, la sonorité quasi métallique de l’enregistrement et le côté fourre-tout y sont pour beaucoup. Disons-le clairement, les morceaux de Midnight Sun ne sont ni Strawberry Fields Forever, ni Lucy In The Sky Of Diamonds, pas même Being For The Benefit Of Mr Kite ou Tomorrow Never Knows. Pas plus qu’ils ne louchent vers cette pop sitarisée, ourlée de basse façon Carol Kaye qui aurait choisi fort opportunément de bloquer le curseur du temps en 1968. Bref, de poser ses valises de chansons au cœur même de Carnaby Street. Pourtant, certains titres distillent un petit parfum d’Angleterre comme ce Poor Paul Getty aux accents poppy. Le reste navigue plutôt dans un espace-temps mal identifié. Qu’ils soient courts ou longs, les morceaux, saturés de sons, partent très vite en vrille. Comme si Sean avait désiré plus que tout se libérer de l’influence tutélaire de papa Lennon. Comme si, malgré la frontière opaque de la mort, il avait voulu lui prouver de quel bois il était réellement fait, celui d’un musicien accompli, non un héritier dont la production se réduirait à un bégaiement filial. Sans friser le génie, le jeune couple a tenu cette promesse folle : délivrer des chansons décemment écrites, avec moult couplets & refrains, et capables de se surprendre elles mêmes. C’est le cas de Too Deep, Xanadu, Animals, Midnight Sun, Last Call ou Moth to a Flame pour ne citer qu’elles. Car on pourrait sans problèmes convoquer les douze compositions de Midnight Sun. Et s’incliner devant tant elles possèdent toutes ce quelque chose qui les distingue du gros de la production indie actuelle. Un esprit dirons-nous, voire peut-être une philosophie, cette évidence puisée chez les anciens doublée d’une témérité, d’un goût du risque que l’on retrouve à chaque seconde quand les instruments conjugués vibrionnent d’extase et d’orgueil. Sans doute Sean Lennon doit-il affirmer un peu plus son ego. Assumer qui il est, pas tant d’où il vient – ce détail n’intéressant qu’un petit bataillon de commentateurs paresseux – mais bien où il va, où il désire nous emmener. Ce nouvel opus ouvre une voie possible, donne un cap ; dieu sait qu’il en faut dans tous les domaines de la vie. Dieu sait aussi que nous en manquons aujourd’hui. Ainsi, Midnight Sun est à l’image d’une carte posée sur la table. Carte routière ou plan de bataille, peu importe. Plutôt une carte des constellations, d’ailleurs. Chaque chanson s’apparentant à une étoile, de celles que l’on essaye de situer lorsque l’on est perdu. Et il faut dire que les musiciens nous égarent souvent – volontairement – dans le tourbillon sans fin de leur imagination. Psychédélisme oblige. Ajoutons à ce stade que le groupe – on oublie que derrière Sean et Charlotte il y a de vrais musiciens – a poussé plus loin le legs des quatre de Liverpool et de tous ceux qui apparurent dans leur sillon. La moisson avait été alors féconde. Aujourd’hui, ils sont moins nombreux à bousculer les codes. Certes. The Ghost Of A Saber Tooth Tiger vient pourtant de rejoindre le club très fermé des innovateurs de tout poil. Grossissant ses rangs. Combien seront-ils demain ? Nul ne le sait et à vrai dire la question n’est pas là. Elle n’est pas non plus de savoir si le psyché incarne la tendance du moment ou tout simplement – affirmons-le sans crainte – l’avenir du rock. L’avenir sourit aux audacieux, à tous ceux qui osent et parfois se trompent. Qu’ils se rassurent, on leur pardonne déjà. The GOASTT brille pour avoir fait du Sean Lennon sans John. Gloire leur soit rendue.

The Ghost Of A Saber Tooth Tiger, Midnight Sun (Chimeric Music)

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http://www.deezer.com/album/7633347

 

 

 

 

 


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