Space Ritual, l’enfer dedans

par Adehoum Arbane  le 16.06.2014  dans la catégorie C'était mieux avant

Quels furent les premiers mots prononcés par Edmund Hillary et Tensing Norgay face à l’Everest qu’ils s’apprêtaient à gravir ? Quelle pensée funeste saisit Dante alors qu’il commençait sa traversée des limbes ? Des questions qui restent sans réponse pour tout homme refusant d’affronter pareil obstacle. Ce sentiment de crainte mêlé de respect, d’excitation même, l’auditeur qui un jour osa approcher une oreille, une seule, du Space Ritual de Hawkwind a forcément dû le ressentir. Space Ritual est au rock ce que fut Godzilla au cinéma : un monstre sonique. Un enfer saturé d’électricité et d’effets électroniques, transpercé par le cri strident des flûtes, battu comme un rappel par une batterie martiale et où la basse dessine des chicanes vers lesquelles on fonce tête baissée. Sans réfléchir. Les deux mots accolés ensemble frappent les esprits. Space. L’espace, la science-fiction, la tri-dimension appliquée au rock et une certaine idée de la défonce. Ritual. Quelque chose de religieux, que l’on suit avec foi, main sur le cœur ; transfiguration dans la répétition. Le titre, dans sa symbolique mais aussi dans sa représentation formelle, graphique, renvoie bien sûr à la pochette double, triple, démente, s’ouvrant dans tous les sens comme une vierge devant un car de hippies drogués, velus, venus. Les photos, dessins, arabesques, icônes dressent le tableau des concerts du groupe que l’on imagine monumentaux, mais aussi celui d’un confins fantasmé qui trouve son incarnation dans les morceaux, leurs noms mêmes ! Earth Calling, Space is Deep, Master Of The Universe, Welcome To The Futur. Voilà pour le résumer. Entrons dans le vif du sujet. Face A. Hawkwind n’est pas seulement un groupe de hard basique bien que leur musique, pour rudimentaire qu’elle soit, arrive à décoller ; euphémisme ! Oui Lemmy, Robert Calvert, Del Dettmar, Nik Turner, Dave Brock et Simon King réunis représentent l’archétype du bab’ hirsute, buveur de bière, suant des riffs comme un ouvrier de Manchester. Mais ces rudes gaillards se distinguent cependant par leur aptitude à développer cette science de l’hypnose au moyen d’instruments, cuivre et vent donc mais aussi synthés, programmateurs, modulateurs, bref tout l’attirail qui fait aujourd’hui la joie des Dj falots. S’ajoutent à cela les guitares reines mais aussi la voix chaude et immémoriale de Rob’ Calvert dont les déclamations "poétiques" définissent le style Hawkwind. Face B. Le live et surtout le live capté sur un album. Certes une tradition de la fin des sixties qui trouva son acmé dans les seventies scintillantes. Kick Ou The Jam, Get Yer Ya-Ya's Out, Happy Trail, Live Dead, Ummagumma disque numéro un, Absolutly Live, Live Steppenwolf, Live at Leeds et bien évidemment Space Ritual, on ne compte plus les exemples de concerts officiels offrant un son décent, travaillé même, presque ouvragé. Le rock étant affaire de messe, même noire, celle-ci se devait d’exister pour l’éternité. La particularité de Space Ritual tient à un seul fait avéré, prouvé, une réalité cinglante, peut-être cruelle : ce live surpasse de loin les albums studio qui pourtant ne sont pas dégueu. Radical par son aspect, l’extrême dilatation de ses "chansons", il effraie autant qu’il fascine et donne une toute petite mais si magnifique idée de ce que pouvait être un set à cette époque, surtout celui d’un groupe méchamment sexy et toxique comme Hawkwind. Toxique, un adjectif usurpé indûment par Britney qui échoie à ce véritable gang, ennemi des parents, adulés par leurs filles. L’un étant le corollaire de l’autre, et inversement. Face C. Les compos, on y vient. Irrésistiblement. Elles nous appellent, nous interpénètrent pour finir par nous posséder. Space Ritual, musique de transe, pas vraiment pop, certes populaire, mais surtout orgiaque, béante et rouge comme l’Amon Amarth du Mordor. Chose étrange, miracle d’une alchimie au sein du groupe, la lourdeur du propos n’empêche pas pour autant les thèmes de s’extraire de la scène pour planer quelques miles plus haut. Pas huit. Bien plus haut, dans une galaxie tapissée d’étoiles et de débris stellaires laissés sans doute par le passage de ces bûcherons soniques. Face D. Les gros seins lourds, laiteux, chauds et rassurants de Stacia Blake, danseuse professionnelle - car oui professionnelle - qui accompagnait, elle et ses protubérances mammaires, le groupe dans ses tournés, jusque sur le devant de scène. C’est le seul écueil de l’album. La dimension visuelle et charnelle s’arrêtant au carton plié du vinyle. Même si certaines photos esquissent qui un téton, qui une croupe partie dans je ne sais quel sabbat orgasmique. On la reconnaît cependant sous les traits de la déesse trônant au recto, tous seins dehors. Ainsi s’offre Space Ritual, enregistré en décembre 72 durant la tournée de promotion de Doremi Fasol Latido et publié le 11 mai 1973. Période de mix où le groupe se livre à quelques tripatouillages et autres overdubs. De tels tronçons de rock méritaient bien une entorse à l’authenticité. Quarante ans plus tard, l’un de ces exemplaires ayant traversé l’espace-temps se retrouva un jour d’anniversaire sur ma platine. À l’aube de mes quarante ans, j’allais, grâce à l’amour de vie, pouvoir écouter ce magnum opus, cet Everest, cet enfer sans Dante - sorry l’ami – sans éprouver la moindre crainte, avec l’inconscience d’un gosse à barbe pourtant père de famille. Allez je dois y aller, y retourner. Earth Calling qu’ils promettaient ! 

Hawkwind, Space Ritual (United Artists Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=RcNKKbRz1mM

 

 

 

 


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