Badfinger, la main heureuse

par Adehoum Arbane  le 02.06.2014  dans la catégorie C'était mieux avant

Vive les groupes pop un peu trop scolaires ! Ce cri venu de l’intérieur fait suite à une discussion amicale autant que musicale à propos d’un groupe de seconde zone – à savoir le pays de Galles – et pourtant signé par un grand, un très grand label : Apple, la firme des Fab. La formation en question s’appelle Badfinger. En 1971, alors que les Beatles désintégrés mènent chacun une carrière honorable au vu du séisme que représenta leur séparation, Badfinger grave son troisième et meilleur opus : Straight Up. Sur la pochette sans nom ni titre, les quatre musiciens. Pas vraiment des têtes de vainqueur. Plutôt des tronches de contrefaçons. Ne pas s’y fier. Les douze chansons qu’elle renferme, si elles n’atteignent pas le niveau de leurs modèles, n’en demeurent pas moins intéressantes. D’une facture assez classique, l’instrumentation met à profit guitare, basse, batterie auxquelles il convient d’ajouter du piano, de l’accordéon et quelques claviers discrets. Sans jamais dénaturer leur propos ô combien simplissime mais on ne peut plus efficace. C’est que le groupe propose au moins trois authentiques plumes dont Peter Ham qui signe la moitié des compositions. Certes bons élèves, Peter Ham, Tom Evans et Joey Molland ont pourtant mis leurs tripes dans ces nouvelles chansons qui possèdent toutes, chacune à leur manière, un charme certain, une idée, ce petit quelque chose qui fait que l’on ressent le besoin d’y retourner. Comme pour vérifier qu’on n’a pas rêvé, que cette pop – certains diront power pop –, déjà mille fois entendue, a son charme propre, sa vérité intrinsèque. Impression aussitôt vérifiée à l’écoute du premier titre, qu’il s’agisse du pressage US ou de la copie UK, l’ordre de passage des chansons différant quelque peu. Malgré leurs formes classiques, on trouve cependant pas moins de cinq grandes chansons, les sept autres ne dépareillant en rien le reste de l’album. Take It All pour commencer dont l’intro piano-guitare et l’arrivée d’une basse puissante suivie de l’orge hammond donnent à l’ensemble une couleur très soul qui s’exprime pleinement dans le refrain. Il y a dans cette compo un peu de Traffic ou des Small Faces dans leur versant rock, dépourvu de psychédélisme. Notons que derrière la rudesse apparente – la voix de Peter Ham ! –, Badfinger fait preuve d’une réelle sensibilité pour ne pas dire d’une élégance certaine. Alors que le groupe enchaine sur cette première face des rock songs enlevées, il l’achève superbement avec Name Of The Game, encore une chanson écrite par Ham. Du haut de ses cinq minutes vingt, Name Of The Game est une œuvre puissante magnifiée par le piano et les chœurs, sans parler du refrain qui vous arracherait jusqu’à la dernière larme de votre corps. D’un songwriting emprunté, académique, ils passent alors à une expression plus incarnée. C’est à peu de choses près le sentiment que l’on ressent sur le plus court Sweet Tuesday Morning qui porte si bien son nom pour la douceur dont il fait preuve avec ses arpèges délicats, ses tintements rêveurs enluminés de la voix presque enfantine de Joey Molland. Day After Day remplit à merveille sa fonction de single, direct dans sa ligne mélodique, son refrain solaire, mais encore une fois transfiguré par le piano mélancolique de Peter Ham. Le piano, l’instrument idéal des singer-songwriters, de Carole King à Elton John en passant par Randy Newman. La liste est incroyablement longue. Dernier effort et non des moindres, Perfection. Rythmique aérienne, trame basique, le morceau décolle pourtant dès l’entame du traditionnel solo de guitare qui s’ébroue alors dans les chœurs éthérés. La suite vaut bien entendu le détour d’autant que, chose assez rare, deux producteurs ont officié au côté du groupe et pas les plus mauvais ; le doux George Harrison et le dingue Todd Rundgren. Alors qu’on les prenait pour des ersatz, les petits gars de Badfinger prennent un magnifique contre-pied. Celui de s’arracher à leurs prestigieux tuteurs qui eurent malgré tout le bon goût de les recruter. Ironie du sort, les premiers accords de I’de Die, Babe rappellent étrangement le riff de Mrs. Vandebilt que Macca composera deux ans plus tard pour Band On The Run. Comme si les élèves avaient très brièvement donné une leçon, fut-elle infime, à leurs maîtres. Chapeau bas, messieurs !

Badfinger, Straight Up (Apple Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=m_TPS86BipU

 

 

 

 


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