Kevin Morby, mother folkeux

par Adehoum Arbane  le 12.05.2014  dans la catégorie A new disque in town

Et si on pouvait enfin écouter du Bob Dylan sans la voix nasillarde et chevrotante de Bob Dylan ? Ce fantasme de fan, bien que respectueux du mythe dylanien, Kevin Morby est en passe de l’avoir réalisé ! Oh God ! Sur son premier album solo, l’envoutant Harlem River, il livre de ces ballades folk urbaines – l’esprit de la grosse pomme n’est jamais très loin – qui vous emportent vers un ailleurs fait de longs voyages dans des trains de marchandises au milieu des clochards aux barbes rêveuses. Et pour ceux qui ne supporteraient pas les bringuebalements ferroviaires, les huit chansons vous ramènent aussitôt dans le périmètre légendaire – ce carré magique – que sont Bleecker Street et Macdougal. Au cœur de Greenwich Village. Et si le cœur vous en dit, libre à vous de flâner avec Kevin le long de Harlem River qui relie l’Hudson à l’East River. Ce boyau liquide borde des banlieues usées, parfois désœuvrées que l’on devine sur la très belle pochette toute de noir et de blanc vêtue. Passés ces détails géographiques, on se plonge corps aussi et âme surtout dans cet album à l’apparence relativement classique. Une trame folk-blues enluminée de slide qui tutoie parfois la country. Pour le reste, c’est-à-dire les chansons, l’auditeur ballotte comme une coquille de noix au gré de l’inspiration de Morby, ancien membre de formations plus rageuses comme les Woods ou The Babies. Seul aux commandes de ce nouveau projet, le singer-songwriter n’en a pas pour autant perdu son esprit frondeur comme en témoigne le morceau titre sur lequel nous reviendrons plus tard. Posons-nous donc un moment sur sa musique, accostons sur cette première face si courte – seulement trois morceaux – mais si dense. Une entrée en matière qui frise la perfection. D’abord Miles, Miles, Miles dont le rythme à deux temps – enlevé sur le couplet, alangui sur le refrain – envoute immédiatement. Marquée au fer blanc d’une orthodoxie absolue, cette première chanson d’ouverture brille cependant par son intemporalité. Wild Side (Oh The Places You'll Go) ne rompt jamais le fil créatif du récit de l’auteur qui brouillonne ainsi des histoires d’amour contrariée. Ici, le refrain fait mouche et la chanson de rendre habillement hommage au détour d’un couplet au Walk On The Wild Side de Lou Reed. Puis on arrive très vite à Harlem River, la chanson. Long tunnel hypnotique de neuf minutes et seize fondamentales secondes. Composition minimale, répétitive, Harlem River n’en est pas moins fascinante qui trouble aussitôt toute oreille ayant accepté de s’y hasarder. C’est la pièce de résistance de l’album, morceau de bravoure comme on écrivait à une certaine époque. Cette décennie qu’il est inutile de rappeler et qui engendra des choses aussi grandioses que The End ou Endless Tunnel du combo psychédélique Serpent Power auquel Harlem River fait sans le savoir automatiquement, spirituellement référence. Après un tel déluge de sentiments, la face b pourrait sembler moins passionnante, moins intense encore. Un cran en dessous. Certes, elle ne retrouve pas le feu de ces trois premières compositions qui ne composent ni ne tergiversent, vont droit dans le mille. Et pourtant on y trouve des titres parfaitement exécutés, inspirés même. Ainsi en va-t-il de If You Leave And If You Marry, ballade horizontale et pourtant efficace. Idem pour Slow Train dont l’orgue d’église nimbe chacune des secondes avant que la voix de Cate Le Bon ne vienne nous transpercer. Si Reign propose un blues carré – un peu trop d’ailleurs –, on retrouve le style Morby avec le presque velvetien Sucker In The Void (The Lone Mile), d’une douceur incroyable, et sur The Dead They Don't Come Back, chanson où les guitares, tantôt acoustiques, tantôt électriques, font des merveilles. Sans sombrer avec paresse dans une relecture scolaire de la tradition musicale américaine, Morby transfigure son matériau en délivrant une œuvre étonnement humaine, authentique en diable, certainement imaginée par un diable de musicien qu’on attend déjà – forcément – au prochain tournant. Manhattan compte tellement de rivières… 

Kevin Morby, Harlem River (Woodsist)

KevinMorbyLPcover5x5WEB.jpg

http://www.deezer.com/fr/album/7097180

 

 

 

 

 


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