Charles-Baptiste, le trait d’union

par Adehoum Arbane  le 18.05.2014  dans la catégorie A new disque in town

En économie, on les appelle réformateurs. En politique, voire dans le cénacle de la philosophie, on les qualifie de rénovateurs. En France, ils sont un petit nombre, très décidé, à bousculer depuis quelques années les ors poussiéreux, oripeaux cependant prestigieux, de la variété française. Avouons-le, Charles-Baptiste fait partie de ce think-thank de singer-songwriters audacieux. Si la révolution est en marche, elle prend chez ce jeune homme venu du Béarn – en soi un mythe balzacien – une tournure singulière. Pour paraphraser en substance un commentateur de l’époque qui prêtait aux Doors cette qualité, Charles-Baptiste a le don de plaire à la fois à cette jeunesse si souvent malmenée, quand elle n’est pas tout bonnement oubliée, et aux adultes férus de grands débats et de belle musique. Mieux, ce dernier arrive comme les Portes en leur temps à réunir ces deux familles inconciliables que les différences, les incompréhensions, le mépris parfois, ont trop longtemps divisées. Tour de force que le musicien, biberonné aux classiques – Chopin, Sheller, Clerc, Yes, Camel, Genesis –, a réalisé sans fausse note, sans heurt, sans compromis boiteux. Son premier album, Les sentiments inavouables, en fait l’époustouflante démonstration. En douze chansons et pas une de plus – équation rêvée – il s’adresse à chacun dans une langue finalement peu amendée, usant de refrains et d’apostrophes lapidaires. Qu’ils soient ado, skateur, amant, maîtresse, branché, bourgeois, réac’, centenaire, émo, bimbo, starlette, ces figures allégoriques d’une société en plein désarroi ont toutes leur chanson. Il y a d’abord ces airs intrépides et frondeurs qui sauront parler à la jeunesse sans l’effaroucher. Qui n’a jamais connu dans sa chambre l’extase blême des turpitudes juvéniles, sous le feu croisé des regards, peluches amoncelées et Rock Stars punaisées ? Cette tranche de vie est dépeinte avec une urgence presque punk bien qu’habillée de pop. Lâchant aussitôt cette désinvolture coulée dans des arrangements synthétiques, le compositeur prend alors des accents plus sérieux pour toucher les quadras buisy au bord de la rupture, pas de celles qu’on a vu fleurir dans les discours de campagne. Cela commence par des chansons procoliennes en diable. Non négociable porte si bien son nom qui vous achève dès la première écoute par sa perfection formelle, tant dans les textes – écoutez son refrain accompli – que dans la mélodie admirable de fluidité. Ils vont me manquer ensuite dont les intonations grandioses, toutes trompettes dehors, et les textes chabroliens séduisent d’emblée. Chez Charles-Baptiste, les mots comme les mélodies sonnent justes, tantôt doucereux, mélancoliques, tantôt implacables. On trouve ainsi des compositions osant parler de la mort, de la solitude. Ces joyaux sont tous judicieusement placés en face b. À l’écoute de Ça sert à quoi, grand final de l’album, l’on ne peut s’empêcher de songer à Pink, personnage central du film The Wall. Homme seul, prostré dans son fauteuil, main pendante prolongée d’une cigarette fatiguée mais encore vivace. Comme un râle. Il y a aussi une obsession sourde que le jeune homme a faite sienne, celle de s’inscrire dans son temps, faire le récit de son époque. En cela, Piquez-moi avant est un chef-d’œuvre à lui seul. Écrite il y a quelque temps déjà, cette dernière résonne cruellement avec l’actualité, l’état hébété d’un pays à bout de souffle mais qui ne demande qu’à espérer, panser ses plaies. Une telle acuité fait de Charles-Baptiste un Randy Newman français. Plait aux oracles qu’il emprunte une voie directe vers l’éclatant soleil de la reconnaissance. Il le mérite. Par son verbe, la musicalité qu’il déploie et le foisonnement des idées qui sont la marque des grands singer-songwriters ; à ce propos, l’entrée de la batterie sur Ça sert à quoi, juste après le deuxième couplet, reste un trauma émotionnel. La France a du génie, dit-on. Il est vrai. Elle a surtout besoin de plumes musicales pour raconter la légende du siècle naissant. Avec force, en dénonçant sans moquer, en écornant sans blâmer. Il nous faut de nouveaux Charles-Baptiste. De ceux qui savent dire et unir. En 2014, le vrai rassembleur, c’est lui !

Charles-Baptiste, Les sentiments inavouables (Casablanca/Mercury)

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https://www.youtube.com/watch?v=VZeMnnUlNVw

 

 

 

 

 


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