Eloy de l’attraction

par Adehoum Arbane  le 07.04.2014  dans la catégorie C'était mieux avant

En dehors du krautrock baba et de l’électronique naissante, l’Allemagne a exploré peu de voies alternatives. Cela serait presque vrai si on ne faisait cas de la première incarnation de Eloy. Mastodonte rock de la seconde moitié des années soixante-dix, Eloy a pourtant livré dans ses jeunes années l’une de ces œuvres que l’on juge encore, quarante et un an après, fascinante. Sorti en 73, Inside s’il possède des petits défauts marque un tournant dans l’histoire du rock allemand par sa volonté, étonnante mais audacieuse, de se rapprocher d’un rock progressif à l’anglaise. Loin des Amon Düül II, CAN et autres Kraftwerk, Eloy retient pour ce deuxième opus des options singulièrement différentes. Moins de dissertation hippie façon Yeti, et ce malgré la longueur de certaines plages, point de nappes robotiques et blêmes nonobstant une tension palpable. Une instrumentation classique pour ne pas dire basique délimite le cadre de l’album dans lequel le groupe se meut avec aisance et énergie. Orgue, guitare, batterie martiale et basse ronde forment l’alpha de Inside. L’oméga trouve son ancrage dans la voix du chanteur, Frank Bornemann, rappelant étrangement celle du leader de Jethro Tull, Ian Anderson, dépourvue ici de tout maniérisme. Ressemblance troublante sur Land Of Nobody ou Future City qui semble s’arrêter là où la musique du groupe, sombre et originale, reprend très vite ses droits. Car l’aspect le plus séduisant de Eloy ‘mark I’ tient à l’évidence dans la partition jouée. Celle-ci se déroule non pas de façon horizontale, spatiale diront certains, mais bien de manière verticale. Tendue, raide, constamment prête à exploser, elle conserve une forme de retenue y compris dans les nombreux soli d’orgue ou de guitare qui émaillent les quatre thèmes. Impression confirmée de la première minute à la dernière seconde, donnant dès lors au disque son équilibre, sa cohérence – allons plus loin –, sa perfection !  Bien que fondamentalement progressive, la musique s’y révèle furieusement rock, comme créée dans l’urgence. Judicieux parti-pris de commencer – à contrario de ses homologues – par la pièce de résistance, longue de dix sept minutes. L’auditeur est littéralement jeté dans cette cuve bouillonnante menaçant de déborder telle un Vésuve teutonique. Démarche fondamentalement immersive qui a le mérite de l’honnêteté, livrant nos cerveaux en pâture aux musiciens, aussi véloces que féroces. Bien que démesuré pour un morceau d’ouverture, Land Of Nobody se caractérise par une trame quasi répétitive jusqu’à l’obsession donnant au titre des allures de messe noire. Noirceur éruptive qui n’est pas sans rappeler les premiers disques de Van der Graaf Generator – The Aerosol Grey Machine et The Least We Can Do Is Wave To Each Other notamment – bien que ce denier sonne plus punk encore que Eloy. Moins grandiloquent peut-être, le quatuor allemand de Hanovre n’en demeure pas moins passionnant par son sens de la progression gérée dans un format réduit, produit sans artifice aucun. Intelligent de par son utilisation de l’orgue hammond qui aurait pu sceller sa perte mais échappe miraculeusement au cliché du british beat. Loin des roucoulements habituels, Manfred Wieckzorke fait la jonction entre deux écoles, celle très hard de Jon Lord et celle plus moderniste de Hugh Banton. Il fait preuve d’une réelle inventivité, s’exprimant avec justesse, au bon moment, lorsqu’un thème ou un morceau l’exige. Signé chez Harvest, la filiale prog de chez EMI, Eloy rejoint ainsi par sa philosophie les formations les plus pointues que l’on retrouve également sur le mythique label Vertigo. Si Floating, l’année d’après, décline une formule peu ou prou identique, les choses se gâteront dès 75. Le succès aidant, le groupe aspire à de nouvelles ambitions qui voient son instrumentarium évoluer et son esthétique s’enrichir au détriment d’une certaine lisibilité qui fait toute la magie de ce deuxième album. Une sorte d’épure – gageure pour la famille progressive – dont Eloy ne peut que s’enorgueillir. Inside ne mérite que trop bien son nom pour ouvrir une brèche dans la production de l’époque. Un passage en force ou ce que l’on appelle plus généralement l’Eloy en vigueur.

Eloy, Inside (Harvest)

Eloy+-+Inside+-+LP+RECORD-539593.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=s702g9vBT0Y

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top