Top des mag rock ayant le moins de couilles

par Adehoum Arbane  le 07.01.2014  dans la catégorie A new disque in town

Dans ce concours général de tartufferie que sont les tops des meilleurs albums de l’année, il est de bon ton de se distinguer. Sur toutes les unes, dans les toutes les colonnes, toujours le même constat : l’impossibilité des grands titres de la presse rock, on et off line, de proposer un best of ramassé, expurgé, bref un palmarès avec des partis pris. Pourquoi ne pas prendre exemple sur Cannes ? D’un président du jury à l’autre, la palme d’or ne tombe pas toujours – enfin presque – entre les mêmes mains. Certains ovnis se trouvent ainsi récompensés, peu importe d’ailleurs le caractère discutable de ces choix. Car c’est bien là l’unique objection, L’absence de choix et par là même, le manque de courage. Il s’agit bien d’un écueil. On attend toujours de son journal rock préféré qu’il prenne des risques, qu’il se mouille un peu pour extraire de la masse des publications la substantifique moelle pop. D’autant que de nombreux albums, s’ils ne manquent pas d’attraits ou de qualités, ne méritent pas toujours de tels honneurs. Bien sûr, toute sélection demeure subjective. Un rock critique n’est pas un musicien, si ce n’est des mots. En revanche, ses préférences, sa connaissance, c’est-à-dire la filiation qu’il entretient avec la musique, l’amènent naturellement  à trancher, même s’il doit se priver à tout jamais d’un disque qui, moins bon, sera définitivement rayé des "fiches de paye". Tel est le cas par exemple de Cabinet Of Curiosities de Jacco Gardner. Voilà un opus charmant, bien écrit, vers lequel on revient régulièrement et qui ne rejoindra pourtant pas ce Top. Il était à deux doigts d’y entrer, il n’aura pas forcément trébuché mais face à des ténors comme Arcade Fire ou Foxygen, il ne faisait tout simplement pas le poids. La mention dans cette chronique suffira-t-elle à consoler ses fans ? On l’espère car c’est sincèrement un très joli disque de pop à l’ancienne, comme on les aime. Idem pour le dernier Mazzy Star, réellement poignant. Il n’aura pas résisté au retour fracassant de bruit et de fureur de Black Sabbath. C’est avec la larme rivée au coin de l’œil que l’on sacrifie untel ou untel. Car il le faut, car d’autres ne peuvent s’y résoudre sans doute par esprit pantouflard, par complaisance, aussi, envers l’industrie de disque. On préfère conserver ses petits privilèges, ne pas se fâcher avec qui un attaché de presse zélé, qui un DA tout puissant. Pas vraiment le genre de cette tribune. On ne fait pas des malheureux par plaisir. Cette année une fois de plus, notre best of se veut à la fois personnel et exigeant. Cependant, l’indépendance n’étant pas une fin en soi, l’audace a prévalu. Ce dernier se divise pour la première fois en deux parties égales, l’une consacrée au rock anglo-saxon, l’autre accordant une prime à la production française. Il y aura donc en 2013 deux meilleurs albums de l’année. Pour éviter la mention ex aequo, bien trop timorée, les deux sésames porteront la mention géographique seule capable de les départager. Pourquoi un telle ordonnance ? Non pas que l’année ne fut pas faste en matière de sorties et encore une fois, il aura fallu écouter, conserver, éliminer un nombre incalculable d’albums pour arriver à ces dix là. Il a été décidé de faire une place à la nouvelle scène pop française qui commence à peine à éclore. Et comme il apparaît difficile, voire impossible de faire figurer un disque chanté en français au côté d’une œuvre anglophone, nous avons ainsi créé deux Tops Five. Enfin, par goût de l’innovation, ces deux tops âpres et homogènes seront présentés dans le désordre, comme si nous étions précisément au palais des festivals en pleine cérémonie cannoise. Commençons donc, avec en tête une forme de culot cocardier, par la France, « la Fraaannnce » comme mimait Louis de Funès dans Rabbi Jacob.

Dans la catégorie meilleur album français mais pop ou pop mais français, l’heureux lauréat est… Aline. Cela faisait quelque temps que notre quartet trustait nos colonnes. Non pas par copinage mais parce que les garçons de Aline ont du talent. Une vision simple et belle de la pop music éternelle, une quête de la chanson courte, efficace que l’on retient, que l’on chérit. 2013 aura été leur année. Avec Regarde le ciel et son horizon dégagé qui les conduira certainement vers le succès, avec une série de concerts où, gagnant en assurance, ils ont prouvé que leur musique pouvait passer sans problème du studio à la scène. Et surtout avec des chansons. Des vraies ! Je bois et puis je danse, certes, mais également Elle m’oubliera, sans « oublier » Maudit garçon, Deux hirondelles, Voleur, Obscène. On ne citera pas tout l’album mais l’on pourrait aisément. Un classique instantané qui place la barre haute pour une deuxième livraison déjà ultra attendue. Ben ouais, on crie toujours Aline pour qu’ils reviennent.

Dans la catégorie meilleur album anglo-canado-saxon, le grand vainqueur est… Arcade Fire. C’est inévitable. La suprématie est actée. Ce quatrième opus, parfait, rêvé, envoie la formation de Montréal au panthéon des grands du Classic Rock. Loin devant dans le peloton de tête. Surclassant tout le monde. On songe ainsi à MGMT qui a manqué une marche avec son troisième album éponyme en demi-teinte. Pour en revenir à l’arcade embrasée, ses révolutions musicales et visuelles l’ont très vite imposée comme la formation la plus passionnante du moment. Qui peut se targuer d’écrire des chansons qui sonnent familières et ce dès la première écoute ? Et pour la quasi totalité de la tracklist ??? Personne n’a été capable cette année de réitérer pareil exploit, hormis bien sûr la bande à Win Butler qui décidément porte très bien son prénom. Reflektor reste en tête - la nôtre - de ce classement et demeurera ainsi dans les annales de la production du nouveau millénaire. Point barre.

Dans la catégorie meilleur album conçu par un chic type, l’unique choix qui s’impose à l’évidence est… Daisy Lambert. Plaisanterie mise à part, c’est avec Aline la deuxième surprise de cette année 2013. Daisy, on vous le disait. Daisy Lambert a tout des grands singer-songwriters, chanteurs, musiciens, artistes quoi. Son premier album est un jalon. Comment ne pas prêter une oreille plus qu’attentive aux déflagrations synthétiques de l’Aventure, aux orages magnétiques de Tes Seins Tes Poignets, aux dérives érotiques de La Femme Fontaine, à la sensualité aqueuse de Santorin ? Comment ne pas considérer Ce soir j’te sors autrement que comme un chef-d’œuvre musical et thématique, une grande chanson évoquant la plus grande des tristesses mais avec cette humanité qui fait les amitiés fortes quand les turpitudes amoureuses tentent de vous défaire. Merci à Daisy, ce chic type que promettait la pochette.

Dans la catégorie meilleur album avec titre à rallonge, le gagnant est… Foxygen. Ultra prolifiques, les deux cerveaux oxygénés reviennent un an après avec un album mirifique, relativement vintage et surtout totalement réussi. Et de plus gavé de putain de chansons, mes frères et sœurs ! De In The Darkness, parfait en ouverture, au grand final languide de Oh No 2 en passant par le très stonien No Destruction, l’élégiaque San Francisco, le bordélique On Blue Mountain ou le moderniste Shuggie, tout est à l’instar du cochon : bon. Nos compères possèdent les attributs des petits génies agaçants parce qu’infiniment doués. Ils savent comme personne transcender une matière musicale ancestrale pour créer des titres de leur temps avec cette patine propre au rock antique tel qu’on le pratiquait entre 1969 et 1971. On ne serait pas vraiment surpris de découvrir une troisième livraison en 2014 tant ils ont de l’énergie et des idées à revendre. Wait & See.

Dans la catégorie meilleur album à voile et à valeur, le sésame échoie à… Granville. Au demeurant pluvieuse, la Normandie a au moins l’avantage d’effleurer – un ferry suffit pour y accéder – l’Angleterre où pullulent les fish and chips et les pourvoyeurs de pop songs. Cette proximité semble avoir réussi aux quatre membres de Granville, jeune formation peu déformée en la matière tant sa musique distille tous les charmes des chansons que l’on aime fredonner. Les Voiles, voilà un nom qui résonne comme une invitation… À écouter ces douze titres d’abord puis, juste après, à se laisser aller à voguer au gré des refrains vers cette terre d’élection musicale passée au prisme d’un français assumé, bien assemblé et restitué par la grâce de leur chanteuse. Rien à jeter dans ce premier essai : ainsi on garde tout contre soi Nancy Sinatra, Jersey – le tube –, Le Slow – l’autre tube –, Adolescent – chef-d’œuvre d’écriture raffinée –, Jeans Troués – très fifties –, l’efficace Crève-Cœur qui nous transperce et toutes les autres compos au passage. Granville a donc fait fi du climat local et général pour délivrer une musique élégante, nostalgique et joyeuse qui suscite une envie : celle d’y revenir.

Dans la catégorie meilleur album avec effet, la récompense revient à… FUZZ ! FUZZ c’est le power trio mené par l’inénarrable Ty Segall dont toutes les rédactions se font l’écho depuis quelques années. Normal, seul ou en groupe, le bonhomme chie les albums comme une kalachnikov crache les munitions. En rafale. Et en plus, ses disques sont bons. Accompagné de Charles Moonheart à la six cordes et Roland Cosio à la basse, Segall a choisi d’évoluer derrière les fûts et chante sur l’intégralité des huit morceaux que compte leur premier et éponyme Lp. On parle de morceaux, le format « chanson » ne faisant pas totalement partie des options retenues par le trio. Excepté le puissant What’s In My Head au refrain monstrueux, on navigue plutôt du côté de la space jam, à quelques kilomètres de Saturne et de Pluton. Là encore, le respect des ainés n’interdit pas une certaine dimension contemporaine même si les nombreux soli peuvent apparaître désuets pour l’auditeur d’aujourd’hui. Mais la générosité de nos musiciens suffit à emporter jusqu’aux plus récalcitrants. Avec Fuzz, Segall taille le rock en pièce.

Dans la catégorie meilleur album faussement féminin croisée à celle récompensant le meilleur disque de KrautSurf, les lauréats sont… ou est La Femme, c’est selon. Malgré ses défauts évidents, un premier album bien trop long, quelques titres dispensables, un sentiment de répétition en partie lié aux précédents reproches, malgré ces griefs donc, cet opus au nom assez pompeux mérite cependant la citation. Car et il faut bien l’avouer, écouter des chansons aux paroles minimales dans un délicieux enrobage électronique a quelque chose de rafraîchissant, surtout dans un pays, la France, où la culture pop si elle existe n’est pas pour autant un acquis musical. Bref, des choses comme Antitaxi – à l’intro cardiaque fracassante et au texte débilo-jubilatoire  – ou Hypsoline, linéaire mais planant, font un bien fou. Idem pour les déjà connus La Femme, Sur La Planche, It’s Time To Wake Up ou Saisis La Corde. Esprit velvetien oblige, on préfère lorsque la femme, la vraie, prend l’avantage sur le chant masculin. On évolue ainsi vers une sorte de pop radicale à la Broadcast et ça, au cœur d’un Hexagone dominé par les conservatismes, cela fait plus que la différence. Ça marche en substance.

Dans la catégorie meilleur album de vétérans, la distinction distingue donc… Black Sabbath. Dans la salle, Bowie fait la tronche malgré ses 108 opérations chirurgicales ayant tendu son visage comme une voile. Qui aurait parié sur ce retour en particulier ? Car depuis quelques années les vieux dinosaures du rock refusent de se cacher pour mourir. Certains se lancent dans une reformation avec tournée à la clé, peinant à convaincre. D’autres s’essayent au délicat exercice de l’album sans parvenir à transformer l’essai. Privés de Bill Ward, Ozzy Osbourne, Tommy Iommi et Geezer Butler ont décidé de recroiser leurs routes et le fer à l’occasion d’un nouveau 33 tours sobrement intitulé 13. Grand bien leur a pris, car le résultat est proprement dantesque. Les morceaux, tous longs, retrouvent les noirceurs passées, celles de classiques tels que Paranoid ou Sabbath Bloody Sabbath. Sans réinventer son style, Black Sabbath n’en oublie pas moins ses vieux réflexes et les compositions gagnent en ferveur et en intensité ce que les années ont apporté en expérience et autres déboires. 13, un chiffre qui fait un malheur !

Dans la catégorie joliesse musicale, vous demandiez un nom, on vous donne un grand OUI pour… De La Jolie Musique. Mémoire tropicale est le titre évocateur du tout premier album de ce collectif de doux-dingues mené par l’exigeant Erwann Corré. Derrière l’humour déjanté de Establishing Bling Bling ou du Départ En Vacances, DLJM partage avec quelques esthètes ce goût pour les espaces rutilants et en même temps lapidaires. Ici les basses sont rondes mais les attaques de claviers constituent la trame – le mot n’est pas là par hasard – d’un album moins gimmick qu’il n’y paraît. Il y a dans cette première livraison des compositions d’une rare profondeur, d’une densité précieuse. Lili La Tigresse et Elisa Chiou surprennent par leur gravité. Ces morceaux existaient depuis longtemps sous cette forme. Ils ont pris le temps de la maturation pour livrer aujourd’hui leurs trésors. Au fil du disque on découvre des perles, tantôt aventureuses avec Lila, tantôt doucereuses à l’image de Métamorphose et de Plein Soleil. De mémoire de rockologue, on n’avait entendu aussi jolie musique.

Dans la catégorie meilleur rosbif servi sur un album, le trophée tombe entre les mains de boucher de… Miles Kane. Kane n’est pas homme à décevoir et surtout avec ce deuxième opus moins inventif que le précédent mais à la redoutable efficacité. Certes la production s’est faite plus stadium mais c’est surtout la qualité des chansons qui convainc aussitôt l’auditeur. Miles Kane appartient à la race des compositeurs anglais capables de trousser des mélodies comme on pratique le point de croix : avec dextérité.  Ce jeune londonien au CV déjà bien garni peut s’affirmer sans problème comme le rejeton officiel de Ray Davies circa 64 et de Pete Townshend période Substitute. Qu’elles soient trépidantes ou romantiques, ses compositions répondent aux critères en vigueur au royaume de la Perfide Albion : à savoir des chansons à refrains que l’on beugle autant dans les pubs que dans les stades avec, à chaque fois, la même quantité de bière brune épaisse rampant dans les veines. Une seule chanson résume l’impression que l’on ressent à l’écoute quasi obsessionnelle de cet album : You’re Gonna Get It.

En résumé, une année 2013 bien remplie avec en France le secret espoir de voir triompher ces jeunes héroïnes et héros de la Pop Françoise, une musique chamarrée dans un français droit, élancé, sans complexe et qui ose ! Cela mérite d’être répété à l’infini, en attendant les prochaines sorties qui consacreront les Charles-Baptiste, Moodoïd, Bengale, Pendentif, Lafayette, Destin, Exotica, Digitale Sanguine… La liste est longue, très longue…

Le Top Five de la pop française :

Aline, Regarde le ciel

Daisy Lambert, Chic Type

Granville, Les Voiles

La Femme, Psycho Tropical Berlin

De La Jolie Musique, Mémoire Tropicale

http://www.deezer.com/playlist/741849885

Le Top Five du rock anglo-saxon :

Arcade Fire, Reflektor

Foxygen, Were Are The 21st Century Ambassadors Of Peace & Magic

Fuzz, Fuzz

Black Sabbath, 13

Miles Kane, Don’t Forget Who You Are

http://www.deezer.com/playlist/741855415

 

 

 

 


Commentaires

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20.01.2014

Excellent article, je suis très sensible à ce genre d'infos

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