Les 10 meilleurs singles français 2013

par Adehoum Arbane  le 20.01.2014  dans la catégorie A new disque in town

Il fut un temps où "Salut les copains" n’était pas qu’une adresse joyeuse envoyée à un petit cercle de fidèles réuni autour d’un baby ou d’un flipper. Il était une époque où l’on collectionnait précieusement de curieux objets ronds appelés EP, Maxi, 45 tours. Pour les plus anciens d’entre nous, on naviguait avec insouciance entre ce petit lot d’années bénies, de 62 à 64. Quant aux plus jeunes, ils ne juraient que par le Top 50 et son fameux "Salut, les p’tits clous". Le point commun de ces décennies, de ces générations éloignées en apparence, le single : cette pop song qui s’accrochait aux charts telle le coquillage sur son rocher, occupant parfois pendant des semaines, des mois entiers la toute première place. À l’heure des baladeurs numériques permettant d’un rapide mouvement de doigt de passer d’un morceau à l’autre, il convient de retrouver l’excitation éternellement passagère du single ! D’autant que la nouvelle génération des groupes de pop française vient d’en assurer la récente fournée. Seuls ou en formations – tantôt serrées, tantôt étirées –, ces artistes émérites ont réussi l’impossible : s’affranchir de leurs ainés pour bâtir des albums consistants émaillés de hits en puissance. Pour certains d’entre eux, le ‘33 tours’ est encore à venir et ils doivent d’abord en faire 45 petits avant de rester. S’ils méritent la citation pour un ou deux morceaux – d’anthologie – c’est bien parce cette toute petite chose éclair, le hit, représente pour eux comme pour nous, auditeurs passionnés, un grand espoir. L’espoir ici caressé de voir la France retrouver avec ses lettres, ses notes de noblesse. Car la tradition de la pop a toujours existé dans notre pays. Celle du single également. Ce dernier fut trop souvent galvaudé, prenant trop souvent le l’appellation grossière de tube. Et pourtant, de 69, année érotique à Chercher le garçon, on trouve au pays de François Villon et de Boris Vian une myriade de grandes chansons, classiques inestimables faisant partie intégrante de notre identité. Que serions-nous en définitive sans Les mots bleus, pourrions-nous encore danser sans J’aime regarder les filles ? Notre veste pâlirait à coup sûr privée de L’Opportuniste. Nous ne pourrions parader sans Les Playboys. La coke serait définitivement moins bonne sans les gimmicks divinement hardcore de Chacun Fait (C’ Qui Lui Plait). Nous étions en 81. Les radios libres, la rose & le panthéon, le chômage installé à demeure. Tout ça quoi. Trente deux ans plus tard, la révolution est à nouveau d’actualité et sans bonnet rouge. Plutôt à grand coup de refrains boutoirs, à grands renforts de synthés scintillants, avec une dose d’opportunisme, toujours lui, de culot et de génie. En cette année qui vient de finir, neuf espoirs et un titulaire font le show. Les voilà, uniques, généreux, audacieux, précurseurs, réformateurs. Et on commence avec…

Aline, une fille ? Non, quatre garçons dans le vent, ou plutôt dans le mistral. Ces marseillais d’adoption ont livré cette année un grand disque de pop limpide. Power pop, Twee pop disions-nous en d’autres temps. Après Je bois et puis je danse, c’est au tour de Elle m’oubliera de briller. Chanson tendue, arquée, prête à se briser et qui survit jusqu’à la dernière minute. Accompagnée d’un mélodica, la mélodie qu’à cela ne tienne s’impose d’emblée, forte, vibrionnante, belle, profondément belle. Paroles simples mais pures, en prise avec la vie que l’on ne cesse de prononcer pour leur magie immédiate. Deuxième chef-d’œuvre dans LE chef-d’œuvre.

Ce soir j’te sors, signé Daisy Lambert, pourrait aisément être la réponse au Ce soir j’m’en vais chantait par Jacqueline Taïeb. Beaucoup d’encre a coulé ici pour chanter, encore une fois, les mérites de cette chanson ultime. De par son sujet, sa sublime pesanteur, ses partis pris sonores, ce morceau pourrait bien être une sorte d’anti-single. C’est pourquoi nous en faisons un tube éternel, un slow à l’ancienne, pétri de douce dramaturgie et dont le solo demeure un firmament à lui seul. Dernier petit détail et non des moindres : le clip, magistral, s’impose comme l’indispensable corolaire d’une œuvre totale. Totalement géniale.

Aussi cool que toi. Voilà qui pourrait être prononcé dans la cour d’un lycée où les cœurs se chamaillent à la récré. Le désir nourrit toujours les envieux. On envie surtout à Charles-Baptiste cette inflexion naturelle à livrer des mélodies évidentes habitées par des mots justes, des réflexions fatales comme des piques, des coups de canif. Lui appelle ça des punchlines. Aussi cool que toi, la jeunesse adore déjà, quant aux adultes, ils succomberont à la science du jeune homme en matière d’arrangements et de franche habilité au piano, l’instrument roi du songwriter – pardonnez l’anglicisme. On attend la suite forcément honnête, personnelle, lettrée et musicalement passionnante.

La production de tubes à beau être capitale, tout ne se joue pas à Paris loin s’en faut. Du côté de la Normandie pluvieuse brille une pop heureuse, celle du groupe Granville. Jersey est leur premier hit et dès lors, sa spontanéité touche en plein mille, émeut. Tout recommencer à Jersey, cela pourrait devenir le slogan de cette génération. Tout recommencer ici en France, avec cette langue pop mêlée à celle de Molière dans un french kiss baveux et jouissif. Pour en revenir aux quatre de Granville, ces derniers sifflent le début de la recréation avec cette mélodie parfaite, faite pour danser et oublier au passage les nuages qui s’amoncèlent.

Revenons à Paris. Un duo monumental s’y est illustré cette année. Ni soldats, ni inconnus, et pourtant quel TRIOMPHE ! Un nom, peu commun, pour un groupe qui ne l’est point tant il brille par son extrême musicalité dans ses beaux habits de modernité. Alors que celui-ci se pavane - premier tube - sur un thème de Ravel, voilà qu’il en décroche un deuxième qui nous intéresse ici : Rothschild. Claviers tranchants, tension dramatique toute en progression, quelque chose qui tient autant de l’orage électronique prêt à éclater que de la BO pour jeune Rastignac contemporain. Massif !

Derrière ce pseudo tout en circonvolutions sonores, Moodoïd, sévit un étrange groupe de trois filles et un garçon, forcément chanceux. Un EP a suffi à faire d’eux la coqueluche de la nouvelle scène française. De Folie Pure, voilà qui promet !  Avec son orientalisme ouvertement assumé dès les premières secondes, Moodoïd trousse une pépite de pop psychédélique résolument kitsch mais qui finit, au fil des minutes, par fasciner puis séduire. Ce souk musical n’est pas sans rappeler les délires exotiques du groupe anglais East Of Eden, notamment sur son premier opus Mercator Projected. Mais en version post-moderne. On aime à la folie !

Même dans sa version 2013, Sur la Planche demeure le single le plus efficace qu’ait produit La Femme, collectif à géométrie variable. Bien que chantant dans sa langue maternelle, La Femme est allée explorer des univers sonores déroutants – on sort du format pop classique – mais pour autant très séduisants : musique répétitive, boucles synthétiques, paroles métronomiques en forme de mantras, ambiance presque james bondiennes. S’ils restent en surface – le principe du surf –, nos jeunes musiciens arrivent à éviter la posture pour livrer une musique plus ludique qu’intellectuelle. Qu’à cela ne tienne, nous avons laissé nos cerveaux dans la cabine. 

Avec ses airs de dandy malgré lui, à la fois classe et maladroit, Lafayette pourrait se rapprocher de Séverin, autre espoir de la pop française. La Glanda, son dernier single, le montre sous son meilleur jour. Mélodie fondamentalement pop, production soignée et paroles délicieusement délétères font le miel de cette ode à la glande. Fils spirituel d’Elli & Jacno et de Daho, Lafayette cultive dans cette chanson mirifique une forme d’indolence, un érotisme de salon fort bienvenu en cette époque de crise. Loin des ambiances synthétiques de Eros Automatique, La Glanda atteint une forme de perfection pop classique, avec ses inflexions solaires et ses chœurs nimbés. Une chose est sûre, l’homme est à suivre !

La pochette du single de Destin est en soi un manifeste ! Pop hédoniste prévient le groupe ! Mirage (L’amour sur la plage), sans tchatchatacha, semble valider ces options de la plus cool des manières. Sans le vouloir, Destin rejoue la partition là où le duo de Chagrin d’amour, constitué de Valli et du regretté Grégory Ken, l’avait laissée. Même swing robotique, même nonchalance balancée comme ça, au milieu du couplet qui ensuite rebondit sur le refrain, sous les coups de reins des chœurs féminins un tantinet excités. Nonobstant sa propre signification, Mirage demeure efficace de bout en bout et on se plait à rêver, en toisant à nouveau l’artwork de l’EP, à un futur album tout aussi réussi. En attendant, retournons sur la plage abandonnée, coquillages et culs tassés.

On finit en beauté avec Philippe Katerine, bien que ce dernier ne réponde pas vraiment aux critères en vigueur dans les magazines de mode. Et pourtant, Sexy Cool porte merveilleusement son nom qui surprend par ses accents discoïdes, très dance floor, et son humour potache, signature éternelle de son géniteur. Après toutes ces années, malgré la jeune garde qui pourrait lui faire de l’ombre, Katerine continue de se réinventer pour le plus grand bonheur de ses fans. Premier extrait du futur et très attendu Magnum, Sexy Cool s’est depuis accouplé avec un second hit du même calibre, l’hilarant Efféminé. En attendant, on se repasse la song en boucle, en slip-chaussettes, un Copacabana en main.

En résumé, revenir à cette forme primitive du rock possède quelque chose d’exaltant, surtout en France, surtout en 2014. D’autres singles viendront, des albums entiers feront leur entrée dans le grand cirque du show business, balayant tout sur leur passage. C’est un moment charnière. Il faut le vivre pour percevoir les bouleversements qui s’amorcent en profondeur. Nous sommes à l’aube d’une révolution donc, loin des bastilles modernes. Celle-ci sera pop ou ne sera pas. 

Aline, Elle m’oubliera

Daisy Lambert, Ce soir j’te sors

Charles-Baptiste, Aussi cool que toi

Granville, Jersey

TRIOMPHE, Rothschild

Moodoïd, De folie pure

La Femme, Sur la planche

Lafayette, La glanda

Destin, Mirage (l’amour sur la plage)

Philippe Katerine, Sexy cool 

http://www.deezer.com/playlist/760587621

http://www.youtube.com/watch?v=57wwPTy2UNk

 

 

 

 


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