Poptrait n°9, Lou raide

par Adehoum Arbane  le 02.12.2013  dans la catégorie Poptraits

Lou Ride, vieux. Lou Raide, mort. Pâle figure oculaire de New York – la grosse pomme bouffée de vers – est allée six feet under ground. Se faire lui aussi ronger le corps, les globes, la chair jusqu’aux os. Lou Reed. Dernière cicatrice dans le ciel de l’est américain. Lou en guise de masque pour dissimuler une vie tourmentée, homosexualité latente, électrochocs. Lou hurlant à la lune dans le caniveau, pour effrayer les journalistes ou rappeler à l’ordre la longue meute des fans. Reed pour lecture, ses premières passions noires et noircies sur des pages entières signées Delmore Shwartz, poète et mentor. Delmore à la mort, il n’y eut qu’un pas qui dura plus de cinquante ans. Lou Reed en 67, main de fer dans un gant de velours, écrit quelques classiques comme ça. En galante compagnie, Nico, Moe Tucker et  avec quelques mecs, John Cale, Sterling Morrison puis Doug Yule. Quatre albums dont un premier, pierre angulaire du nouveau rock, diamant noir rougeoyant, pièce maîtresse avec fouet, chansons en fusion. White Light/White Heat blême, violence larvée, The Velvet Undeground et ses amours lovées, et – enfin – Loaded, Matrice rechargée pour un dernier coup, coup de génie, coup de grâce. Le groupe se sépare. Lou en bête sauvage, seul, libre, un brin largué, en quête de reconnaissance lui qui rêvait d’être un simple guitariste rythmique. Un premier album en solo, très vite oublié avant de recevoir un Beau Oui et livrer, comme ça, à nouveau, quelques chefs-d’œuvre inflexibles. Transformer transforme l’essai. L’auditeur marche sur le mauvais côté de Lou tel un funambule suicidaire, c’est bon, c’est chaud, le sax soyeux apporte des couleurs dans l’existence en dents-de-scie du rockeur. Juste une année parfaite pour Lou. Des animaux dans les zoos, des sangrias dans les bars et des vinyles dans les bacs. Les siens. Les mots sont simples, les images éclairs… nous éclairent sur son deuxième destin. Artiste en forme, singer-songwriter en glam de fond. I’m So Free chante-t-il. Derrière ce tableau maquillé, surgissent toujours quelques fantômes arrachés au passé. Travestis, drogués, pieds usés arpentant le pavé. Le vice reste sa marque de fabrique, sa Factory à lui ; Lou aime à louvoyer. Avec ses amis Bowie-Iggy, il partage une fascination pour les découpages arides dans le béton gris de Berlin. Et en fera un album. Malgré les enluminures de Bob Ezrin, producteur de Alice Cooper, l’album effraie joyeusement. Comble d’horreurs qui sont autant de pâleurs superbes. Il est question de Caroline, mais pas celle de Brian Wilson. La sienne s’inspire de deux femmes, Betty Kronstadt - actrice, épouse et caissière qui tente de mettre fin à ses jours – et Andrea Feldman qui elle y parvient aisément. Il faudra d’ailleurs deux chansons, Caroline I & II, pour peindre en notes leur nécro spirituelle. L’animal rock’n’roll poursuit sa fuite en avant, entre cacophonie et harmonies. Vrai punk avant l’heure ! De toute la décennie 70, Coney Island Baby - disque sexy et apaisé – séduit le plus,  bien que les autres galettes ne manquent point d’attraits. C’est ainsi. Lou est un sentimental. Un homme blessé mais aimant, « un cadeau pour les femmes de ce monde ». L’humour fait aussi partie de l’humeur. Les années 80% de fric et 20% de chic voient sa production s’étoffer, lui le héros new-yorkais. Après l’obscurité des précédentes décennies, Reed arbore un Loup Bleu des plus remarqués. La constance a toujours fait partie de son dress code. Alors que Nirvana donne le la des nineties, il retrouve son vieux camarade John Cale pour un album à quatre mains dédié à Andy Warhol, l’étonnamment intemporel Songs for Drella. Adulé, décoré, Lou boude le décorum et épouse dans le plus grand secret l’artiste contemporaine Laurie Anderson, alter ego en creux, féminin et rassurant. C’est elle qui signera son plus beau portrait dans les colonnes du East Hampton Star, la feuille de choux locale de Springs, à Long Island, où le couple aimait couler des jours paisibles. Sans doute, les nuits de Lou le seront aussi. Des nuits de velours blanc en guise de linceul. Nuit éternelle. Reed In Peace.

 

 

 


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